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des malades ? Rien n’est si long que le temps de préparer leur breuvage. Chacun de ceux qui environnent ce malade, s’empresse, pour ne pas le jeter dans l’impatience. Quand cela sera-t-il fait ? sera-t-il cuit ? Quand me le donnera-t-on ? Ceux qui te serment se hâtent, c’est ton infirmité qui te fait trouver long ce qui est fait si promptement. Voyez donc notre médecin ; il console ce malade qui dit : Combien de temps encore ? Quand cela finira-t-il ? « Encore un peu de temps », dit le Seigneur, « et le méchant ne sera plus ». Tu gémis d’être au milieu des méchants, c’est le méchant qui te fait gémir ; encore un moment et il ne sera plus. Toutefois ces paroles : « Ceux qui attendent le Seigneur auront la terre en héritage », te font croire que cette attente sera longue ; attends encore un peu, et tu posséderas éternellement ce que tu auras attendu. Encore un peu, un moment. Compte les années depuis Adam jusqu’aujourd’hui, parcours les Écritures : c’est presque d’hier qu’il est banni du paradis[1]. Et toutefois le monde a parcouru bien des siècles qui sont écoulés. Où sont donc bannées du passé ? Ainsi s’écoulera le peu de temps qui nous reste. Quand même tu aurais vécu depuis qu’Adam fut chassé du paradis jusqu’aujourd’hui, tu trouverais bien peu longue une vie qui s’envole ainsi. Que doit être alors la vie de chaque homme ? Ajoute à cette vie autant d’années qu’il te plaira, prolonge le plus possible sa vieillesse, qu’est-ce encore ? N’est-ce point une aurore matinale ? Quel que soit donc l’intervalle qui nous sépare du jour du jugement, alors que les justes et les méchants recevront selon leurs mérites ; assurément le dernier jour ne saurait être éloigné pour toi. C’est à celui-là qu’il te faut préparer. Car tel tu sortiras de cette vie, tel tu entreras dans l’autre vie. Après ces jours si restreints, tu ne seras point encore dans le séjour des saints auxquels il est dit : « Venez, dénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde »[2]. Tu n’y seras point encore, qui en doute ? Mais tu pourras être dans ce séjour oh reposait ce pauvre autrefois couvert d’ulcères[3], et que du milieu de ses tourments voyait au loin le riche orgueilleux et stérile en bonnes œuvres. C’est dans ce lieu de repos que tu attendras en toute sécurité le jour du jugement, où ton corps te sera rendu, et où tu seras transformé pour devenir l’égal des anges. Quel est donc cet espace qui nous paraît si long, et qui nous fait dire : Quand sera-ce ? Tardera-t-il beaucoup ? C’est là ce que diront nos fils, ce que diront nos neveux : et quand ils parleront ainsi en se succédant, le peu qui reste passera avec la même rapidité qui entraînait les siècles écoulés. O malade ! « Encore un peu de temps et le pécheur ne sera plus »[4].
11. « Tu chercheras sa place, et tu ne la trouveras point ». Le Prophète explique ici ce qu’il vient de dire : « Il ne sera plus » ; non que le pécheur doive cesser d’exister, mais il n’aura plus aucun pouvoir. S’il cessait complètement d’exister, il ne craindrait plus les tourments ; et alors il serait en sûreté et dirait : « Je puis faire selon mon bon plaisir tant que je vivrai ; après cela je ne serai plus rien. Nul alors ne souffrira plus, nul ne sera tourmenté ». Et que deviendront ces paroles : « Allez au feu éternel préparé à Satan et à ses anges ? »[5] Mais peut-être que ceux que l’on aura jetés dans ce feu cesseront d’exister, et seront consumés ? Mais alors il ne serait pas dit : « Allez au feu éternel », car il n’y a pas d’éternité pour ceux qui ne sont plus. Et toutefois le Seigneur ne nous a point caché ce que fera cette flamme sur les damnés, si elle doit les consumer, ou seulement les tourmenter de ses ardeurs. « C’est là », dit-il, « qu’il y aura pleur et grincement de dents »[6]. Comment y aurait-il pleur et grincement de dents chez des gens qui ne sont plus ? Comment donc faut-il entendre cette parole : « Encore un instant et il n’y aura plus de pécheur », sinon dans le sens que donne le verset suivant : « Et tu chercheras sa place et tu ne la trouveras point ? » Qu’est-ce que sa place ? Son usage. Le pécheur a-t-il donc son utilité ici-bas ? Assurément. Ici-bas il est utile à Dieu pour l’épreuve du juste, comme Dieu se servit du diable pour éprouver Job[7], comme il se servit de Judas pour livrer Jésus-Christ. Le méchant a donc en cette vie son usage. Il a donc ici-bas sa place, comme la paille dans le fourneau de l’orfèvre. La paille se consume, afin que l’or se purifie ; ainsi l’impie a ses fureurs, qui servent à éprouver le juste. Mais quand finira

  1. Gen. 3,6
  2. Mt. 25,34
  3. Lc. 16,23
  4. Ps. 36,10
  5. Mt. 25,41
  6. Id. 8,12
  7. Job. 12