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Ce que nous disons s’applique au corps du Christ, c’est-à-dire, à chacun de nous : mais soyons-nous en Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même quelque chose de pareil ? Tant de soin que nous mettions à examiner et à scruter l’Évangile, jamais nous n’y verrons que, dans ses peines et ses ennuis, le Seigneur se soit revêtu d’un cilice. Nous y lisons, à la vérité, qu’il a jeûné après son baptême ; mais, pur un cilice, il n’en est nulle part question nous ne le voyons en aucun endroit. Quand il a jeûné, le diable le tentait, mais les Juifs se le persécutaient pas encore, et je ne puis lire qu’il ait jeûné au moment où ils l’interrogeaient sur des choses qu’il ne connaissait pas, ni au moment où, lui rendant le mal pour le bien, ils examinaient malicieusement sa conduite, le poursuivaient, s’emparaient de sa personne, le flagellaient, le couvraient de blessures et lui donnaient la mort. Néanmoins, mes frères, cédons à une pieuse curiosité, levons un peu le voile, ouvrons les yeux de notre cœur, pénétrons le sens caché le l’Écriture, et nous verrons qu’en réalité, pendant le cours de ses souffrances, le Seigneur a jeûné et s’est couvert d’un cilice. Qu’entend-il par un cilice, sinon peut-être la condition mortelle de la chair ? Pourquoi en cilice ? À cause de la ressemblance de sa et chair avec la chair du péché. « Car », dit l’Apôtre, « Dieu a envoyé son propre Fils, revêtu d’une chair semblable à la chair du péché ; il a condamné le péché dans sa chair »[1] ; c’est-à-dire, il a revêtu son Fils d’un cilice pour condamner les boucs par ce cilice. Sans aucun doute, il n’y avait pas de péché dans le Verbe de Dieu ; il n’y en avait, non plus, dans l’âme sainte, ni dans l’esprit de l’homme que le Verbe et la sagesse de Dieu s’étaient attaché en unité de personne : il n’y en avait pas même dans son corps ; mais la ressemblance de la chair du péché se trouvait dans le Seigneur, parce que la mort n’existe du péché, et son corps était certainement sujet à mourir. Si, en effet, il n’avait pas été mortel, il ne serait pas mort ; s’il n’était pas mort, il n’aurait pas ressuscité ; et s’il n’était pas ressuscité, il ne nous aurait point donné la preuve et l’exemple de notre immortalité. La mort, qui nous est venue du à, porte le nom de péché, de la même manière qu’on désigne, sous le nom de langue grecque ou de langue latine, non pas notre langue corporelle, mais ce que nous disons au moyen de ce membre : notre langue est un de nos membres, aussi bien que nos yeux, nos oreilles, notre nez, etc ; mais, par langue grecque, on entend les paroles prononcées en grec, non parce que les paroles seraient la même chose que la langue, mais parce qu’elles sont prononcées par elle. Tu dis de quelqu’un, pour désigner une partie quelconque de son corps-: J’ai reconnu sa figure. En parlant d’un absent, tu dis encore J’ai reconnu sa main, quoique tu veuilles parler, non de sa main corporelle, mais de l’écriture tracée par elle. Ainsi en est-il du péché du Seigneur : il a eu pour cause le péché, puisqu’il a pris un corps fait de cette substance, qui est devenue sujette à la mort, à cause du péché. Et pour exprimer plus brièvement ma pensée, je dirai : Marie est morte à cause du péché d’Adam, parce qu’elle en était la fille ; Adam est mort à cause de sa propre prévarication ; et le corps du Seigneur, mis au monde par Marie, est mort pour détruire le péché. Le Seigneur s’est revêtu de ce cilice, et ce cilice, sous lequel il se cachait, l’a empêché d’être reconnu. « Lorsque », dit-il, « ils me tourmentaient je me revêtais d’un cilice » ; c’est-à-dire : ils sévissaient contre moi, et je me cachais. S’il n’avait pas voulu se cacher, il n’aurait pu mourir. Quand, en effet, ils s’approchèrent de lui pour le saisir, il lui suffit d’un instant, il n’eut qu’à laisser jaillir un éclair de sa puissance, si toutefois on peut dire que c’en était même un éclair ; c’en fut assez de sa part, de leur adresser cette seule question : « Qui cherchez-vous ? » pour les faire reculer et tomber en arrière. Une telle puissance n’aurait certes pas subi les ignominies de la passion, si elle ne s’était cachée sous le cilice : donc, « je me revêtais du cilice et j’humiliais mon âme par le jeûne ».
4. Si nous avons bien compris ce qu’il faut entendre par le cilice, comment devons-nous maintenant comprendre ce qu’il faut entendre par le jeûne ? Le Christ voulait manger, quand il cherchait des fruits sur le figuier stérile, et s’il en avait trouvé, il s’en serait nourri. Il voulut boire, quand il dit à la femme de Samarie : « Donne-moi à boire »[2] et sur la croix : « J’ai soif »[3]. Quelle faim et quelle soif éprouva-t-il donc ? Il eut faim et soif de nos bonnes

  1. Rom. 8,3
  2. Jn. 4,7
  3. Id. 19,28