Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/349

Cette page n’a pas encore été corrigée

ni les plaisirs ni les biens de la terre, aimant Dieu comme son véritable Époux, sans espoir de récompense, sans demander à recevoir de lui ce qui pourrait la charmer, mais en se proposant comme l’unique objet de son bonheur. Car, pourrai-je entrer en possession d’un objet meilleur que Dieu ? Je suis aimé de Dieu : il t’aime aussi ; voici ses propositions : demande ce que tu veux. Si l’empereur te disait : Demande ce que tu veux comme tu te hâterais de demander la dignité de tribun ou de comte ! Que de choses tu désirerais recevoir pour toi et pour les autres ! Dieu te dit : Demande ce que tu veux ; que lui demanderas-tu donc ? Élargis le cercle de tes pensées ; donne toute leur ampleur à tes désirs de posséder ; écarte autant que possible les limites de ton ambition ; dilate tes convoitises. Ce n’est pas le premier venu qui te dit : Demande ce que tu veux ; c’est le Dieu tout-puissant. Si tu es amateur de domaines, tu voudras posséder toute la terre tu désireras que tous ceux qui viennent au monde soient tes fermiers ou tes serviteurs et quand tu aurais toute la terre, que posséderais-tu ? Si tu demandes la mer, tu ne pourras vivre dans son sein : les poissons qu’elle renferme seront au-dessus des atteintes de ton avarice. Mais, peut-être, posséderas-tu les îles ? Elève-toi au-dessus de ce monde ; et, quoique des ailes te manquent pour voler dans les airs, demandes-en l’immensité ; porte ton ambition jusque dans le ciel ; demande à devenir le maître du soleil, de la lune et des étoiles, car celui qui les a créés, t’a dit : Demande ce que tu veux. Et, cependant, tu ne trouveras rien de plus précieux ni de meilleur que celui qui a fait toutes choses. Demande à posséder le Créateur lui-même, et en lui, et par lui tu posséderas tout ce qu’il a fait. Tout est digne d’être aimé, parce que tout est beau ; mais, qu’y a-t-il de-plus beau que lui ? En tout, il y a de la puissance ; mais qu’y a-t-il de plus puissant que lui ? Et il ne veut plus rien ardemment que se donner lui-même à toi. Si tu trouves mieux, demande-le ; mais si tu demandes autre chose, tu lui fais injure, et tu te portes du dommage, parce que tu lui préfères ses créatures, quand il veut se donner lui-même à toi, et te donner, en sa personne, le Créateur de toutes choses.
Dans ces sentiments d’amour, une âme lui a dit : « Seigneur, est-ce que vous êtes mon partage ? »[1] C’est-à-dire : Vous êtes mon partage. Que ceux qui désirent des richesses choisissent ce qu’ils veulent ; qu’ils prennent leur part dans les biens de ce monde : pour moi, vous êtes mon partage ; je vous ai choisi. Et encore : « Vous êtes la part de mon héritage ». Qu’il te possède, afin que tu le possèdes : tu seras son domaine ; tu seras sa maison. Il possède une âme pour lui faire du bien ; en le possédant on en tire avantage.
Est-ce que tu peux lui être de quelque utilité ? « J’ai dit au Seigneur : Vous n’avez pas besoin de mes biens[2]. Mon âme se réjouira dans le Seigneur ; elle trouvera toute sa consolation dans son Sauveur ». Le salut qui vient de Dieu, c’est le Christ, « car mes yeux ont vu votre salut »[3].
13. « Tous mes os vous diront : Seigneur, qui est semblable à vous ? » Où est l’homme capable d’interpréter ces paroles d’une manière digne d’elles ? Selon moi, on doit se borner à les prononcer, et ne point essayer de les expliquer. Pourquoi y chercher tel ou tel sens ? Qu’y a-t-il de pareil à ton Seigneur ? Tu l’as devant toi. « Tous mes os vous diront : Seigneur, qui est semblable à vous ? Les méchants m’ont entretenu de choses agréables ; « mais, Seigneur, qu’elles sont différentes de votre loi[4] ! » Il s’est trouvé des persécuteurs qui ont dit : Adore Saturne, adore Mercure. Et on leur a répondu : Je n’adore pas les idoles : « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Les idoles ont des oreilles et n’entendent pas, des yeux et ne voient pas[5]. « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Vous avez fait l’œil pour voir et l’oreille pour entendre. Mais, a-t-on ajouté, je n’adore pas les idoles, parce qu’elles sont l’œuvre d’un artisan. – Adore donc les arbres et les montagnes ; ils ne sont sortis des mains d’aucun ouvrier. – « Seigneur, qui est semblable à vous ? » On me montre des objets terrestres, et c’est vous qui avez créé la terre ! – On tourne peut-être alors ses regards vers les créatures placées au-dessus de nous, et l’on me dit : Adore la lune, adore ce soleil qui, du haut des cieux, pareil à un immense flambeau, donne au jour son éclat. Et moi, je réponds avec énergie : « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Vous avez fait la lune et les étoiles, le soleil a reçu de vous les feux

  1. Psa. 72,26
  2. Psa. 15,2
  3. Luc. 2,30
  4. Ps. 118,85
  5. Ps. 113,5-6