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artiste peut trouver en toi des défauts inaperçus pour un ignorant : qui se flattera de chanter avec harmonie, pour Dieu, qui juge du chantre avec tant de sagacité, qui pénètre dans tous les détails, qui écoute si attentivement ? Quand votre chant sera-t-il assez harmonieux, pour n’offenser en rien des oreilles si délicates ? Voici qu’il vous prescrit lui-même la manière de chanter ; ne cherchez point les paroles comme si vous pouviez en trouver pour expliquer ce qui plaît à Dieu. Chantez « par vos transports ». Pour Dieu, bien chanter, c’est chanter dans la joie. Mais qu’est-ce que chanter avec transport ? C’est comprendre que des paroles sont impuissantes à rendre le chant du cœur. Voyez ces travailleurs qui chantent soit dans les moissons, soit dans les vendanges, soit dans tout autre labeur pénible : ils témoignent d’abord leur joie par des paroles qu’ils chantent ; puis, comme sous le poids d’une grande joie que des paroles ne sauraient exprimer, ils négligent toute parole articulée et prennent la marche plus libre de sons confus. Cette jubilation est donc pour le cœur un son qui signifie qu’il ne peut dire ce qu’il conçoit et enfante. Or, à qui convient cette jubilation, sinon à Dieu qui est ineffable ? Car on appelle ineffable ce qui est au-dessus de toute expression. Mais si, ne pouvant l’exprimer, vous – devez néanmoins parler de lui, quelle ressource avez-vous autre que la jubilation, autre que cette joie inexprimable du cœur, cette joie sans mesure, qui franchit les bornes de toutes les syllabes ? « Chantez harmonieusement, chantez dans votre jubilation ».
9. « Car la parole du Seigneur est droite, e et toutes ses œuvres sont dans la foi ». Et c’est même par sa droiture qu’il déplaît à ceux dont le cœur n’est pas droit. « Toutes ses œuvres sont dans la foi » ; que les tiennes aussi soient dans la foi, « car le juste vit de la foi »[1], et c’est « la foi qui agit par la charité »[2]. Que tes œuvres soient dans la foi, parce que c’est en croyant en Dieu que tu deviens fidèle. Mais comment les œuvres de Dieu peuvent-elles être dans la foi, comme s’il vivait aussi de la foi ? Cependant nous trouvons que Dieu est fidèle, et ce n’est point moi qui tiens ce langage, écoutez l’Apôtre : « Dieu est fidèle », dit-il, « et ne souffrira point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il vous fera profiter de la tentation afin que vous puissiez persévérer »[3]. Dieu est fidèle, vous l’entendez ; écoutez ce qu’il dit ailleurs : « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui ; si nous le renonçons, il nous renoncera aussi ; si nous lui sommes fidèles, il demeurera fidèle, car il ne peut être contraire à lui-même »[4]. Nous avons donc aussi un Dieu qui est fidèle. Distinguons toutefois la fidélité de Dieu de la fidélité de l’homme. L’homme est fidèle quand il croit aux promesses que Dieu lui fait ; Dieu est fidèle quand il donne à l’homme ce qu’il lui a promis. Sa grande miséricorde à nous promettre, nous garantit sa fidélité à tenir sa promesse. Nous ne lui avons rien prêté pour faire de lui notre débiteur ; c’est de lui que nous vient tout ce que nous pouvons lui offrir, et si nous avons quelque valeur, nous la tenons de lui. Tous les biens qui font notre joie viennent de lui. « Qui connaît en effet les desseins de Dieu ? ou qui est entré dans ses conseils ? ou qui lui a donné le premier, pour en attendre une récompense ? Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui »[5]. Donc nous ne bai avons rien donné, et néanmoins il est notre débiteur. Pourquoi débiteur ? parce qu’il a fait des promesses. Nous ne lui disons point : Seigneur, rendez ce que vous avez reçu ; mais bien : « Donnez ce que vous avez promis ». « Car la parole du Seigneur est droite ». Qu’est-ce à dire, que « la parole du Seigneur est droite ? » Qu’elle ne vous trompe jamais, et que vous ne devez point la tromper, ou mieux, vous tromper vous-mêmes. Comment tromper en effet celui qui connaît tout ? « Mais l’iniquité ment contre elle-même[6]. Car le discours du Seigneur est droit, et toutes ses œuvres sont dans la foi ».
10. « Il aime la miséricorde et le jugement »[7]. Aimez-les, puisque Dieu les aime. Appliquez-vous, mes frères. C’est maintenant le temps de la miséricorde, ensuite viendra celui du jugement. Pourquoi est-ce aujourd’hui celui de la miséricorde ? C’est que maintenant il appelle ceux qui se détournent de lui, et qu’il pardonne à ceux qui se tournent vers lui ; c’est qu’il attend avec patience que les pécheurs se convertissent ; c’est qu’après leur conversion il oublie le passé, il promet l’avenir, il stimule la lenteur, il console dans

  1. Rom. 1,17
  2. Gal. 5,6
  3. 1 Cor. 10,13
  4. 2 Tim. 2,12-13
  5. Rom. 11,34-36
  6. Ps. 26,12
  7. Id. 22,5