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demandé une au Seigneur »[1]. Il met au féminin le bienfait qu’il a sollicité, comme s’il disait : J’ai fait une seule demande. Dans la conversation, par exemple, nous autres latins mettons souvent deux au – féminin et non au masculin ; l’Écriture a dit de la même manière : « J’en ai demandé une au Seigneur, je la réclamerai ». Voyons ce qu’a demandé celui qui n’a plus aucune crainte. Quelle sécurité d’âme ! Voulez-vous ne rien craindre aussi ? Demandez cette seule grâce que demande uniquement celui qui ne craint rien mais qu’a-t-il demandé, afin de ne rien craindre ? « J’ai fait une demande au Seigneur, et j’y reviendrai ». Telle est l’occupation de ceux qui marchent dans la voie droite. Quelle est donc cette demande, cette grâce unique ? « C’est d’habiter dans le palais du Seigneur tous les jours de ma vie ». Elle est unique, parce qu’on appelle palais la demeure où nous devons être éternellement. On appelle maisons les demeures d’ici-bas, que l’on appellerait mieux des tentes, puisque les tentes sont pour les voyageurs, qui sont une certaine milice et qui livrent des assauts à l’ennemi. Donc, s’il y a des tentes, il est visible qu’il y a des ennemis. Car habiter les mêmes tentes, c’est être compagnon sous la tente, ce qui se dit des soldats, vous le savez. Donc ici-bas est la tente, là-haut est le palais. Mais on abuse de la ressemblance pour appeler tente ce qui est maison, et souvent encore, le même abus fait appeler maison ce qui est une tente. Toutefois, le ciel est à proprement parler le palais, ici-bas nous sommes sous des tentes.
7. Dans un autre psaume, le Prophète nous marque avec précision ce qui nous occupera dans cette demeure : « Bienheureux, ô mon Dieu, ceux qui habitent votre demeure, ils vous béniront dans les siècles éternels »[2]. Telle est la passion violente, pour parler ainsi, tel est l’amour qui dévore comme une flamme celui qui désire passer tous les jours de sa vie dans la maison du Seigneur, et par ces jours à passer dans la maison de Dieu, il entend non pins des jours qui finiront, mais des jours éternels. Il en est de ces jours comme des années dont il est dit : « Et vos années, Seigneur, ne finiront point »[3]. Car les jours de la vie éternelle ne sont qu’un seul jour sans fin. Il dit donc au Seigneur : « C’est là mon désir, c’est là ma prière unique ; celle que je répéterai ». Et comme si nous lui disions : Que ferez-vous dans la maison de Dieu ? Quel plaisir y goûterez-vous ? Quelle joie y sollicitera votre cœur ? Quelles délices alimenteront votre joie ? Car vous n’y demeurerez point si vous n’y êtes heureux. D’où vous viendra cette félicité durable ? Ici-bas les plaisirs de l’homme sont variés, et l’on appelle malheureux celui qui est privé de ce qu’il aime. Les hommes ont des goûts différents, et l’on appelle heureux celui qui paraît avoir ce qu’il aime. Toutefois, celui-là est vraiment heureux, non qui possède ce qu’il aime, mais bien qui aime ce qui est aimable. Il est quelquefois plus malheureux de posséder ce que l’on aime que d’en être privé. Il est malheureux d’aimer ce qui peut nuire, plus malheureux encore de le posséder. Quand notre amour est dépravé, Dieu met sa bonté à nous refuser ce que nous aimons ; et c’est dans sa colère qu’il nous accorde ce que nous avons tort d’aimer. Saint Paul nous l’enseigne clairement, quand il dit des anciens que « Dieu les a livrés aux désirs de leurs cœurs »[4]. Il leur a donc livré ce qu’ils désiraient, mais pour leur damnation. Il nous dit encore que Dieu rejette nos demandes : « Trois fois », dit-il, « j’ai prié le Seigneur de me délivrer (de l’aiguillon de la chair), et il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la vertu se fortifie dans la faiblesse »[5]. Dieu donc livra les philosophes aux désirs de leurs cœurs, et rejeta la prière de saint Paul. Il exauce les uns pour leur damnation, il refuse à l’autre pour son bien spirituel. Mais quand l’objet de nos désirs est d’accord avec la volonté de Dieu, sans aucun doute, il nous l’octroiera. Et ce que nous devons désirer uniquement, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de notre vie.
8. Il y a toutefois, pour les hommes, dans nos demeures terrestres, des délices et des joies bien diverses ; et chacun veut choisir pour l’habiter le lieu où rien ne blessera son âme, et où elle trouvera de nombreux agréments ; que ces agréments disparaissent et l’homme cherche ailleurs. Ayons la curiosité de demander au psalmiste, et qu’il veuille bien nous dire ce qu’il doit faire, ce que nous ferons avec lui, dans cette agréable demeure où il désire, où il souhaite si vivement, où il demande comme grâce unique au Seigneur

  1. Ps. 26,4
  2. Ps. 83,5
  3. Id. 101,28
  4. Rom. 1,24
  5. 2 Cor. 12,8-9