Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/216

Cette page n’a pas encore été corrigée

vendre ce parfum précieux et en faire le bien des pauvres[1] ». Quand il voulait vendre ainsi la bonne odeur de Jésus-Christ, que lui répond le Sauveur ? « Pourquoi, dit-il, contristez-vous cette femme ? Ce qu’elle a fait pour moi, est une bonne œuvre[2] ». Qu’ai-je à dire encore, quand le Sauveur ajoute : « Partout où sera prêché l’Évangile dans tout l’univers, on dira à la louange de cette femme ce qu’elle vient de faire[3] ». Que peut-on ajouter à ces paroles ou en retrancher ? Comment prêter l’oreille à ces calomniateurs ? Le Seigneur a-t-il menti ou s’est-il trompé ? Qu’ils choisissent, et qu’ils nous disent ou que la vérité a pu mentir, ou que la vérité a pu se tromper. « Partout où l’Évangile sera prêché », dit Jésus-Christ. Et comme si on lui demandait : Où donc sera-t-il prêché ? « Dans tout l’univers », répond-il. Écoutons notre psaume, voyons s’il parle dans le même sens. Écoutons ce chant lugubre, et d’autant plus digne de nos larmes que l’on chante pour des sourds. Je serais étonné, – mes frères, que l’on chantât ce psaume aujourd’hui chez les Donatistes. Pardonnez-moi, mes frères, si je vous confesse mon étonnement, muais j’atteste le Christ miséricordieux, que je regarde ces hommes comme des pierres, s’ils n’entendent pas ces choses. Comment parler plus clairement, même à des sourds ? On peut lire dans ce psaume la passion du j Christ aussi clairement que dans l’Évangile, et toutefois, il a été composé je ne sais combien d’années avant que le Sauveur fût né de la vierge Marie : c’était le héraut qui annonçait le juge à venir. Lisons-le donc, autant que nous le permettra le peu de temps qui nous reste, non pas autant que le voudrait notre douleur, mais, ainsi que je l’ai dit, autant que nous le permettra l’heure avancée.
3. « O Dieu, mon Dieu, regardez-moi : Pourquoi m’abandonner ainsi ? » Ce sont les mêmes paroles que nous avons entendues à la croix, quand le Seigneur s’est écrié : « Eli, Eli », c’est-à-dire, mon Dieu, mon Dieu « Lama sabachtani ? » Pourquoi m’avez-vous abandonné ? L’Évangéliste a traduit ces paroles, et dit que le Seigneur s’écria en hébreu : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’abandonnez-vous ? » Que voulait dire le Seigneur ? Car Dieu ne l’avait pas abandonné, puisque lui-même est Dieu, que le Fils de Dieu est Dieu, que le Verbe de Dieu est Dieu. Écoutons dans son premier chapitre, cet Évangéliste qui répandait au-dehors la surabondance qu’il avait puisée dans le cœur de Jésus[4] ; voyons si le Christ est Dieu. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Ce Verbe donc, qui était Dieu, « s’est fait chair pour habiter parmi nous n. C’est ce Verbe qui était Dieu, et qui, s’étant fait chair, disait pendant qu’il était cloué à la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » À quoi bon parler de la sorte, sinon parce que nous étions là nous-mêmes, et que l’Église est le corps de Jésus-Christ[5] ? Pourquoi dire : « Mon Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, m’auriez-vous donc abandonné ? » sinon pour stimuler notre attention, et nous dire en quelque manière : « C’est de moi qu’il est parlé dans ce psaume ? Les cris de mes péchés éloignent de moi le salut ». Quels péchés avait celui dont il est dit : « Qu’il n’a commis aucune faute, et que le mensonge ne s’est point trouvé dans sa bouche[6] ? » Comment peut-il dire : « mes péchés n, sinon parce qu’il implore le pardon de nos fautes, et qu’il a voulu qu’elles devinssent ses fautes, afin que sa justice devînt notre justice ?
4. « Mon Dieu, je crierai vers vous pendant le jour, et vous ne m’exaucerez point ; « pendant la nuit, et ce ne sera point une folie pour moi[7] ». Ainsi parle-t-il de lui-même, de vous, de moi ; car il parlait au nom de son corps mystique qui est l’Église. À moins peut-être, mes frères, que vous ne croyiez que le Seigneur craignait de mourir quand il disait : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi[8] ». Le soldat n’est jas plus valeureux que le général. « Il suffit au serviteur de ressembler au maître[9] ». Toutefois saint Paul, ce champion du roi Jésus, s’écriait : « Je me sens pressé des deux côtés, j’ai le vif désir d’être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ[10] ». Va-t-il désirer la mort pour être avec le Christ, quand ce même Christ craignait de mourir ? Qu’est-ce donc, sinon qu’il portait en lui notre infirmité, et qu’il parlait de la sorte au nom des fidèles déjà établis en son corps mystique,

  1. Mt. 26,8
  2. Id. 10
  3. Id. 13
  4. Jn. 13,23
  5. Eph. 1,23
  6. 1 Pi. 2,23
  7. Ps. 21,4
  8. Mt. 26,39
  9. Id. 10,25
  10. Phil. 1,23