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de l’homme, comme il se souvient des animaux, car cette bonté s’étend jusqu’à ceux qui sont éloignés de lui ; mais il visite le fils de l’homme quand il étend sur lui sa miséricorde pour le couvrir comme de ses ailes, quand il l’éclaire à la splendeur de sa propre lumière, l’abreuve de ses délices, l’enivre de l’abondance de sa maison, et lui fait oublier les misères et les égarements de sa vie passée. C’est ce fils de l’homme, ou cet homme nouveau, qu’enfante avec douleur et gémissement la pénitence du vieil homme. Cet homme, quoique nouveau, s’appelle néanmoins charnel, tant qu’il est nourri de lait : « Je n’ai pu », dit l’Apôtre, « vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels ». Et pour leur montrer qu’ils sont régénérés en Jésus-Christ, il ajoute : « Je vous ai traités comme de petits enfants en Jésus-Christ, vous donnant du lait, non une nourriture solide[1] ». Pour cet homme nouveau, retombé dans sa première vie, ce qui arrive souvent, c’est qu’il encourt le reproche d’être homme : « N’êtes-vous pas des hommes », dit saint Paul, « et ne marchez-vous pas tout à fait comme des hommes[2] ? »
11. Le fils de l’homme a donc été visité tout d’abord dans la personne de cet Homme-Dieu, né de la vierge Marie. L’infirmité de cette chair, que daigna porter la Sagesse divine, et les ignominies de la passion, ont fait dire au Prophète : « Vous l’avez rendu quelque peu inférieur aux anges[3] ». Puis il se hâte de marquer la gloire de sa résurrection et de son ascension : « Vous l’avez couronné de gloire et d’honneur, en l’établissant sur toutes les œuvres de vos mains[4] ». Comme les anges sont aussi l’œuvre des mains de Dieu, nous croyons que le Fils unique de Dieu est au-dessus des anges, comme nous croyons qu’il a été quelque peu inférieur aux anges, dans les ignominies de sa naissance temporelle et de sa passion.
12. « Vous avez mis tout à ses pieds[5] ». Tout, dit le Prophète, sans exception ; et afin qu’on ne pût entendre ces paroles dans un autre sens, l’Apôtre veut que la foi les accepte ainsi, quand il dit : « Excepté celui-là seul qui lui a tout assujetti[6] ». Il s’appuie, dans l’Épître aux Hébreux, sur le témoignage de ce Psaume, quand il nous ordonne de croire que tout est soumis à Jésus-Christ[7], sans aucune exception. Toutefois le Prophète ne paraît pas beaucoup ajouter, quand il énumère « toutes les brebis, les bœufs, et même les bêtes sauvages ; les oiseaux du ciel, les poissons de la mer qui se promènent dans ses sentiers[8] ». Il paraît négliger les Vertus, les Puissances, et toutes les armées angéliques, négliger même les hommes, pour soumettre à Jésus-Christ les animaux : à moins que par les bœufs et les brebis, nous n’entendions les âmes saintes, qui produisent les fruits de l’innocence, ou qui travaillent à rendre la terre fertile, c’est-à-dire à obtenir des hommes terrestres une régénération dans les biens spirituels. Par ces âmes saintes, nous devons donc entendre non seulement les hommes, mais aussi les anges, si nous voulons conclure de ce verset que tout est soumis à Jésus-Christ Notre-Seigneur. Car il n’y aura plus rien qui ne lui soit soumis, si les princes d’entre les esprits, pour ainsi parler, lui sont assujettis. Mais comment prouver que par brebis, on peut entendre les plus élevés en sainteté, non seulement des hommes, mais encore des créatures angéliques ? Est-ce par ce que le Sauveur nous dit qu’il a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les montagnes, ou dans les hauteurs des cieux, afin de descendre pour une seule[9] ? Par cette brebis tombée, si nous entendons la nature humaine déchue en Adam, parce que Eve avait été tirée de son côté[10], ce qu’il n’est pas temps d’examiner ici pour le traiter d’une manière spirituelle, il ne reste plus pour les quatre-vingt-dix-neuf brebis, que des natures angéliques et non des âmes humaines. Quant aux bœufs, il est facile de les entendre des anges car si l’Écriture désigne les hommes quand elle dit : « Vous ne lierez point la bouche au bœuf qui foule le grain[11] », c’est que les hommes, en portant la parole de Dieu, sont des messagers comme les anges[12] : combien nous sera-t-il plus facile de désigner sous la figure des bœufs, les anges eux-mêmes, ces messagers de la vérité, puisque les évangélistes qui partagent leur nom, sont désignés par les bœufs[13] ? Donc, « vous lui avez assujetti toutes les brebis et tous les bœufs », c’est-à-dire toutes les créatures spirituelles ; et par là,

  1. 1 Cor. 3,1-3
  2. Id. 3
  3. Ps. 8,6
  4. Id. 7
  5. Id. 8
  6. 1 Cor. 15,27
  7. Héb. 2,8
  8. Ps. 8,9
  9. Mt. 18,12 ; Lc. 15,4
  10. Gen. 2,22
  11. Deut. 25,4
  12. Saint Augustin joue sur le mot Angelus, messager ; d’où evangelizare, porter la parole.
  13. 1 Cor. 9,9 ; 1 Tim. 5,8