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n’est point celui des parfaits, mais de ceux qui tendent vers la perfection. Les parfaits diraient alors : « J’entrerai dans votre maison ». Avant d’y arriver il faut dire tout d’abord : « Je vous adorerai auprès de votre saint temple ». C’est pour cela peut-être qu’il ajoute, comme une sauvegarde à ceux qui désirent le salut : « Avec une sainte frayeur ». Quand chacun y sera parvenu, s’accomplira ce mot de l’Évangéliste : « La charité parfaite bannit toute crainte[1] ». Il n’y a plus de crainte pour nous en face de l’ami qui nous a dit : « Je ne vous appellerai plus désormais des serviteurs, mais des amis[2] », et qui nous met en possession des promesses.

10. « Seigneur, conduisez-moi dans votre justice, à cause de mes ennemis[3] ». Il dit assez qu’il se met en route, qu’il se dirige vers la perfection, mais qu’il n’y est point encore arrivé, puisqu’il demande à Dieu de l’y conduire. « Dirigez-moi dans votre justice », non dans ce qui paraît l’être aux yeux des hommes ; car ils s’imaginent qu’il y a justice à rendre le mal pour le mal ; mais telle n’est point la justice de celui dont il est dit : « Qu’il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants[4] », puisque Dieu, en punissant les méchants, loin de leur infliger ses châtiments, les abandonne seulement à leur malice. « Voilà », dit-il, « qu’il a fait éclore l’injustice, il a été en travail de l’affliction pour enfanter l’iniquité ; il a ouvert un précipice, il l’a creusé, et il est tombé dans le gouffre qu’il avait préparé : son injustice descendra sur lui, et son iniquité retombera sur sa tête[5] ». Dieu donc punit les hommes, comme le juge punit les violateurs de la loi, non en leur infligeant lui-même le châtiment, mais en les poussant dans celui qu’ils ont eux-mêmes choisi, et qui sera pour eux le comble du malheur. Mais l’homme qui rend le mal pour le mal, le fait avec un mauvais dessein, et devient méchant lui-même, en voulant châtier les méchants.

11. « Tracez-moi une voie droite en votre présence[6] ». Il est clair qu’il recommande à Dieu le temps que dure son voyage, et que ce voyage s’accomplit non par un chemin terrestre, mais par les sentiments du cœur. « Tracez-moi une voie droite en votre présence », c’est-à-dire dans ce secret où ne pénètre point le regard des hommes, dont il faut mépriser la louange ou le blâme. Ils ne peuvent juger de la conscience des autres, qui est le chemin droit sous l’œil de Dieu. Aussi le Prophète ajoute : « Parce que la vérité n’est pas dans leur bouche[7] », et qu’on ne peut croire à leurs jugements, il faut nous réfugier dans l’intérieur de notre conscience et en la présence de Dieu. « Leur cœur est plein de vanité ». Comment la vérité serait-elle dans leur bouche, quand le cœur est trompé par le péché et par la peine du péché ? De là ce cri du Prophète pour les en détourner : « Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge[8] ? »

12. « Leur bouche est un sépulcre ouvert[9] ». On peut appliquer cette parole à l’intempérance, qui est pour beaucoup le motif de flatteries mensongères. Le Prophète a dit justement qu’ils sont un « sépulcre ouvert », parce que leur avidité est insatiable, et ne se ferme point comme le sépulcre qui a reçu un cadavre. On peut dire aussi qu’au moyen de paroles mensongères et d’artificieuses caresses, ils attirent à eux ceux qu’ils font tomber dans le péché ; et c’est comme les dévorer que les faire entrer dans cette voie. Mais l’homme qui en arrive là, meurt par le péché ; et celui qui l’a séduit, s’appelle justement un sépulcre ouvert ; il est mort en quelque sorte, puisqu’il n’a plus la vie de la vérité, et il reçoit en lui-même ces morts qu’il a tués en les amenant à lui par le mensonge et la frivolité du cœur. « Leurs langues sont pleines d’artifices » ; les langues des méchants, car c’est là ce que paraît dire le Prophète, en précisant « leurs langues ». Elle est mauvaise en effet cette langue du méchant qui dit le mal, qui dit la fraude. C’est à eux que le Seigneur a dit : « Comment diriez-vous le bien puisque vous êtes mauvais[10] ? »

13. « Jugez-les, Seigneur, que leurs desseins s’évanouissent[11] ». C’est là une prophétie plutôt qu’une malédiction ; et le Prophète ne désire point que cette vengeance arrive, mais il sait ce qui arrivera : et ils tomberont sous cette vengeance, non parce que le Prophète semble la désirer, mais bien parce qu’ils auront mérité d’y tomber. De même quand il dit : « Que ceux qui espèrent en vous soient dans la joie[12] », il fait, une

  1. Jn. 4,18
  2. Jn. 15,15
  3. Psa. 5,9
  4. Mat. 5,45
  5. Psa. 7,15-17
  6. Id. 5,9
  7. Ps. 7,10
  8. Id. 4,3
  9. Id. 5,11
  10. Psa. 5,11
  11. Ps. 5,11
  12. Id. 12