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cri des bergers en est-il moins loup ? Ah ! qu’il change et devienne brebis. Le Seigneur en effet peut faire ce changement. Mais alors c’est sa justice et non la tienne. Tu peux avec la tienne redouter le châtiment, tu n’as pas pour la justice un amour réel. Quoi ! mes frères, l’iniquité aurait ses charmes et la justice n’aurait pas les siens ? Le mal a de l’attrait, et le bien n’en aurait pas ? À coup sûr il en a ; mais « c’est le Seigneur qui répandra la douceur, puis notre terre portera ses fruits[1] ». Elle demeurera stérile si d’abord le Seigneur ne verse ses attraits. Voilà pourquoi l’Apôtre aimait la justice et se trouvait heureux ; se souvenait de Dieu et se trouvait heureux[2] ; soupirait avec ardeur après les parvis sacrés[3], et dédaignait, considérait comme perte, comme dommage et comme vil fumier tout ce qu’il estimait auparavant.

9. C’était donc son zèle ardent pour les traditions de ses pères, qui l’avait porté à persécuter l’Église[4], à établir sa propre justice au lieu de rechercher la justice de Dieu. En voulez-vous la preuve ? « Que dirons-nous donc ? » s’écrie-t-il ailleurs. « Que les gentils, qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice ». Laquelle ? « Mais la justice qui a vient de la foi ; et que les gentils qui ne cherchaient point », comme la leur, « la justice qui vient de la loi », la justice inspirée par la crainte du châtiment et non par l’amour du bien, « sont parvenus à la justice, cet à la justice qui vient de la foi ; tandis qu’Israël, en recherchant la loi de justice, n’y est point parvenu. Pourquoi ? Parce que ce n’est point par la foi ». Qu’est-ce à dire : « Ce n’est point par la  foi ? » C’est-à-dire qu’Israël n’a point espéré en Dieu, n’a point attendu de lui la justice, n’a point eu foi en Celui qui justifie l’impie[5], n’a point fait comme le publicain qui baissait les yeux jusqu’à terre, se frappait la poitrine et disait « Seigneur, ayez pitié de moi, pauvre pécheur[6]. – Voilà pourquoi tout en recherchant la loi de justice, il n’y est point parvenu. Pourquoi ? Parce que ce n’est point par la foi, mais comme par les œuvres qu’ils l’ont recherchée ; car ils se sont heurtés contre la pierre d’achoppement[7] ». Voilà bien pourquoi Saul persécutait l’Église ; il se heurtait alors contre la pierre d’achoppement, contre le Christ étendu en quelque sorte sur terre dans son humilité. Sans doute aussi il était élevé au ciel avec son corps ressuscité d’entre les morts ; mais s’il n’eût été en même temps sur la terre, aurait-il crié à Saul : « Pourquoi me persécutes-tu » ? Il était donc abaissé à terre par son humilité ; et Saul se heurtait contre lui dans son aveuglement. Cet aveuglement, d’où venait-il ? De l’enflure causée par son orgueil. Qu’est-ce à dire ? De ce qu’il s’appuyait sur sa justice. Cette justice à la vérité venait de la foi ; mais elle était aussi la sienne. Comment venait-elle de la loi ? Parce qu’elle était contenue dans les prescriptions légales. Et comment était-elle aussi la sienne ? Parce qu’il se l’attribuait, parce qu’elle ne venait pas de l’amour, de l’amour de la justice, de l’amour de la charité du Christ. Mais d’où lui est venu cet amour ? Quand il n’y avait en lui que la crainte, cette crainte réservait dans son cœur la place que devait occuper la charité. Lors donc qu’il sévissait avec fierté, avec orgueil contre les chrétiens et qu’il se glorifiait devant les Juifs de persécuter l’Église par zèle pour les traditions paternelles ; lorsqu’il se croyait un grand homme, il entendit du haut du ciel la voix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Déjà assis sur son trône le Sauveur n’en recommandait pas moins l’humilité. « Saul, Saul, dit-il, pourquoi me persécutes-tu ? Il t’est dur de regimber contre l’aiguillon[8] ». Je pourrais te laisser faire ; tu te blesserais toi-même, sans m’atteindre, en frappant du pied ; mais non, je ne te laisse pas. Tu es furieux, et je suis miséricordieux. « Pourquoi me persécutes-tu ? » Je ne crains pas que tu me crucifies de nouveau ; je veux seulement me révéler à toi, afin de te détourner de mettre à mort, non pas moi, mais toi.

10. L’Apôtre frémit ; frappé et renversé, il fut bientôt relevé et raffermi. En lui s’accomplit cette parole : « C’est moi qui frapperai et c’est moi qui guérirai[9] ». Il n’est pas dit : Je guérirai, puis je frapperai ; mais : « Je frapperai et je guérirai ». Je te frapperai, puis je me donnerai à toi. Ainsi frappé, il prit à dégoût sa propre justice, cette justice qu’il pratiquait sans reproche et qui le rendait honorable, grand et glorieux aux yeux de Juifs ; il la regarda comme une perte, comme un dommage,

  1. Psa. 84, 13
  2. Psa. 76, 3
  3. Psa. 83, 3
  4. Gal. 1, 14
  5. Rom. 4, 5
  6. Luc. 18, 13
  7. Rom. 9, 30-32
  8. Act. 9, 4-5
  9. Deu. 32, 39