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la mort première et le péché du premier homme. « De même que nous mourrons tous par Adam, dit l’Apôtre, ainsi tous recevront la vie par Jésus-Christ[1]. Par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort ; ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché[2] ». Tous effectivement étaient dans un seul.

Est-ce dans ce sens que selon toi la mort de l’homme vient du péché ? – Non. – Comment l’entends-tu ? – Aujourd’hui encore Dieu crée chaque homme immortel. – Étrange nouveauté ! Reprends. – Oui, Dieu crée chacun de nous immortel. – Pourquoi, dans ce cas, les petits enfants meurent-ils ? Si je te demandais : Pourquoi les grandes personnes meurent-elles ? tu me répondrais : C’est qu’elles ont péché. Je laisse donc là les grandes personnes et j’invoque contre toi le témoignage des petits enfants. Sans parler, ils te confondront ; sans rien dire, ils prouvent en ma faveur. Les voilà, Ces petits enfants ; innocents dans leurs actions, ils n’ont de mal que celui qui leur a été légué par le premier homme ; s’ils ont besoin, pour recevoir la vie chrétienne, de la grâce du Christ, c’est qu’Adam leur a donné la mort ; souillés dans leur naissance, ils ont besoin, pour être purifiés, de passer par la régénération. Voilà les témoins que je vais produire. Réponds maintenant. S’il est vrai que tous les hommes naissent immortels et qu’ils ne meurent que parce qu’ils pèchent, pourquoi ces enfants meurent-ils ? Que pensez-vous qu’ils aient pu répondre, mes frères ? Ah ! quelles oreilles pourraient l’écouter ? Ces petits enfants eux-mêmes, disent-ils, ont péché. – Où ont-ils péché ? dis-le-moi ; quand ont-ils péché ? comment ont-ils péché ? Ils ne distinguent ni le bien ni le mal, et incapables de saisir un ordre, ils pèchent ? Prouve-moi que les petits enfants sont des pécheurs. Vraiment tu as oublié ce que tu étais à leur âge ; mais prouve ton assertion, montre-moi en quoi pèchent ces petits. Est-ce en pleurant qu’ils pèchent ? Leurs péchés consistent-ils à repousser la peine et à accepter le plaisir par des mouvements qui ressemblent à ceux des animaux sans parole ? Si ces mouvements sont des péchés, le baptême ne fait que rendre davantage ces enfants pécheurs, puisqu’au moment où on les baptise, ils résistent avec tant de violence. Pourquoi néanmoins ne considère-t-on pas ces résistances comme des péchés ? N’est-ce pas parce que la volonté de ces enfants n’est pas encore maîtresse d’elle-même ?

8. Voici autre chose : Ces enfants, qui sont nés, ont déjà péché, dis-tu ; puisque, d’après toi, s’ils n’avaient péché ils ne mourraient pas. Mais n’en est-il pas qui meurent dans le sein maternel ? Quel embarras ! – Ceux-là aussi ont péché, répond-on ; c’est pour cela qu’ils meurent. – Veux-tu nous duper, où es-tu dupe toi-même ? Contre toi s’élève l’Apôtre : « Ils n’étaient pas encore nés, dit-il, et n’avaient fait ni bien ni mal ». J’aime mieux écouter l’Apôtre que toi, je le crois plutôt que je ne te crois. « Ils n’étaient pas encore nés et n’avaient fait ni bien ni mal ». Ne veux-tu pas de ce témoignage ? Retombe alors dans ces vaines imaginations et soutiens que ces enfants ont péché au ciel et qu’on les en a jetés dans leurs corps. – Je ne dis pas cela. – Pourquoi pas ? – Parce que, d’après l’Apôtre, quand on n’est pas né, on ne fait ni bien ni mal. – Ainsi tu ne leur attribues pas de crime dans le ciel, et tu leur en attribues dans le sein de leur mère ? Or l’Apôtre réfute les deux opinions, et celle qui place le péché dans le ciel, et celle qui le place dans le sein maternel. Toutes deux en effet tombent devant cette assertion : qu’avant leur naissance ils n’avaient fait ni bien ni mal. Pourquoi enfin meurent-ils ? Te croirai-je plutôt que le Maître des gentils ?

9. Dites-moi, Apôtre saint Paul, pourquoi meurent ces enfants ? « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort ; ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché ». C’est donc le premier homme qui a fait condamner tout le genre humain. Venez, venez, Notre-Seigneur ; venez, ô second Adam, venez, venez ; mais venez par un autre chemin, venez par une Mère vierge ; vivant, venez, vers des morts, et mourez pour aider les mourants, pour rendre la vie aux morts, pour les racheter de la mort, pour conserver la vie dans la mort et pour tuer la mort par la mort même. Voilà la seule grâce qui convienne aux petits comme aux grands, la seule qui sauve les grands et les petits. Pourquoi maintenant choisit-il celui-ci et

  1. 1Co. 15, 22
  2. Rom. 5, 12