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nom ; tu le connais, mais tu ne peux le chasser de l’église, tu n’as aucun moyen de l’amender, ni châtiment ni reproche ; il va même avec toi s’approcher de l’autel ; ne crains rien : « Chacun portera son propre fardeau ». Rappelle-toi, pour être en sûreté à l’autel, ces paroles de l’Apôtre : « Chacun portera son propre fardeau ». Pourvu seulement qu’il ne t’invite pas à porter le sien avec lui ; car en partageant son avarice, tu n’allégerais pas le faix ; vous en seriez accablés tous deux. À lui donc sa charge, à toi la tienne. Dieu en effet n’ôte jamais un fardeau que pour en rendre un autre ; il n’ôte le joug de la cupidité que pour rendre celui de la charité ; et chacun doit porter le joug que méritent ses dispositions : le méchant, un joug qui écrase ; le bon, un joug qui soulève.

9. Remarque encore maintenant cette recommandation : « Portez mutuellement vos fardeaux ». Dès que tu portes le joug du Christ, tu peux aider ton frère à porter son fardeau personnel. Il est pauvre, et tu es riche ; la pauvreté est son fardeau, tu n’as pas celui-là. Ah ! prends garde, s’il t’implore, de lui répondre : « Chacun portera son propre fardeau ». Rappelle-toi ici cet autre précepte : « Portez vos fardeaux réciproquement ». La pauvreté n’est pas ton fardeau, elle est celui de ton frère ; mais l’opulence ne serait-elle pas pour toi un fardeau plus lourd ? Tu n’as point le fardeau de la pauvreté, mais tu as le fardeau des richesses. Oui, si tu y regardes bien, les richesses sont un fardeau. Lui a le sien, et toi le tien. Porte avec lui, à son tour qu’il porte avec toi ; ainsi vous porterez réciproquement vos fardeaux. En quoi consiste le fardeau de la pauvreté ? À ne rien avoir. Et le fardeau des richesses ? À avoir plus qu’il ne faut. S’il est chargé, tu l’es aussi. Porte avec lui l’indigence, et qu’il porte l’opulence avec toi ; ainsi vos charges s’équilibreront. En lui donnant, tu allèges son fardeau, qui est de ne rien avoir ; puisqu’il commence à avoir en recevant de toi, tu diminues évidemment sa charge ; il diminue aussi la tienne, qui consiste à trop avoir. Vous marchez l’un et l’autre dans la voie de Dieu, pendant le pèlerinage de celte vie. Tu es chargé, toi, d’un bagage magnifique, superflu ; il est, lui, sans bagages ; il s’approche avec le désir de t’accompagner ; ne dédaigne pas son offre, ne le repousse pas, ne le laisse pas. Ne sens-tu pas combien tu es chargé ? Lui ne porte rien, il n’a rien, donne-lui quelque chose, ainsi tu aideras ce compagnon de voyage, en te soulageant toi-même. Voilà, je pense, assez d’explications sur cette pensée de saint Paul.

10. Ne vous laissez donc pas éblouir par ces hommes qui répètent : Nous sommes des saints, nous ne – nous chargeons pas de vos fardeaux, et c’est pour cela que nous ne communiquons pas avec vous. Ces grands saints portent cependant d’énormes fardeaux de division, fardeaux de morcellement, fardeaux de schisme, fardeaux d’hérésie, fardeaux de dissensions, fardeaux de rancune, fardeaux de faux témoignages, fardeaux d’accusations calomnieuses. Nous avons essayé et nous essayons encore d’ôter à nos frères ces lourds fardeaux ; mais ils y tiennent ; ils croiraient s’amoindrir en se séparant de ces volumes avec lesquels ils croient avoir grandi. Ne semble-t-il pas qu’on se rapetisse en quittant un fardeau que l’on portait sur la tête ? Mais c’est le poids qui diminue et non la taille.

11. Pour moi, dis-tu, je ne me mêle pas aux péchés d’autrui. – T’ai-je donc dit, Viens, partage les péchés d’autrui ? Je ne te dis pas cela ; je sais ce que recommande l’Apôtre, et voici ce que je dis : Ces péchés d’autrui fussent-ils réels et ne fussent-ils pas plutôt tes propres péchés, tu ne devrais pas, pour ce motif, quitter le troupeau de Dieu, où les boucs sont mêlés aux brebis ; sortir de l’aire royale, où la paille se foule avec le bon grain ; ni déchirer les filets du divin Pêcheur, tant qu’on traîne vers le rivage les poissons bons et mauvais qu’ils renferment. – Et comment souffrir celui que je sais mauvais ? – Ne vaudrait-il pas mieux le souffrir que de sortir toi-même ? Pour le souffrir, il te suffirait de remarquer ces paroles de l’Apôtre : « Chacun portera son propre fardeau » ; cette pensée serait ta sauvegarde. D’ailleurs tu partagerais avec lui, non pas l’avarice, mais la table du Christ ; et que perdrais-tu à partager cette table avec lui ? L’Apôtre ne dit-il pas : « Celui qui mange et boit indignement, mange et boit sa propre condamnation[1] ? » La sienne et non la tienne. Cependant, si tu es son juge, si tu as reçu le pouvoir de le juger d’après les règles canoniques, si on l’accuse devant toi et qu’il soit convaincu par des preuves et des

  1. 1Co. 11, 28