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cupidité, passe sous celui de l’heureuse charité.

7. « Enlevez sur vous mon joug, et apprenez de moi ». Si vous n’avez plus de confiance dans l’enseignement des hommes, « apprenez de moi ». C’est le Christ, c’est le Maître, c’est le Fils unique de Dieu, c’est le seul Docteur infaillible, le Docteur véritable, la Vérité même qui crie : « Apprenez de moi ». Quoi ? Qu’au commencement était le Verbe, que le Verbe était en Dieu, que le Verbe était Dieu, et que tolet a été fait par lui[1] ? Pourrons-nous apprendre jamais de lui à construire le monde, à remplir le ciel de flambeaux, à régler les alternatives du jour et de la nuit, à présider au cours du temps et des siècles, à donner la vie aux semences et à peupler la terre d’animaux ? Ce n’est rien de semblable que veut nous enseigner le Maître céleste ; car c’est comme Dieu qu’il fait tout cela. Ce Dieu néanmoins ayant daigné se faire homme, si ce qu’il fait comme Dieu doit te ranimer, tu dois imiter ce qu’il fait comme homme. « Apprenez de moi », dit-il, non pas à créer le morde ou des natures nouvelles ; non pas même à faire ce que j’ai fait visiblement comme homme et invisiblement comme Dieu ; non pas à chasser la fièvre du corps des malades, à mettre les démons en fuite, à ressusciter les morts, à commander aux vents et aux vagues, à marcher sur les eaux ; non, n’apprenez pas cela de moi. Il est en effet des chrétiens à qui le Sauveur a donné ces pouvoirs, et il en est à qui il les a refusés. Mais ces mots : « Apprenez de moi », sont adressés à tous, et personne ne saurait se soustraire à cette obligation : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ». Pourquoi hésiter d’enlever ce fardeau ? Est-ce une charge accablante d’être doux et pieux ? Est-ce une charge accablante d’avoir la foi, l’espérance et la charité ? Car ce sont ces vertus qui rendent humble et doux. Assure-toi qu’en l’écoutant tu ne seras pas écrasé : « Mon joug est doux, dit-il en effet, et mon fardeau léger[2] ». Que signifie ici léger ? – Ne faut-il pas entendre que son joug est moins pesant, que l’avarice pèse plus que la justice ? Je ne veux pas de ce sens. Ce fardeau n’est pas un poids qui charge, ce sont des ailes qui soulèvent. Les ailes de l’oiseau ne sont-elles pas aussi un fardeau ? Et que dire de ces ailes ? Si l’oiseau les porte, elles le portent aussi. Il les porte à terre et elles le portent au ciel. Serait-ce avoir pitié de l’oiseau, surtout en été, que de dire : Ce pauvre petit est chargé du poids de ses ailes, je vais l’en décharger ? En voulant le secourir, ne l’as-tu pas condamné à rester à terre ? Reçois donc ces ailes de la charité, porte ces ailes qui t’assureront la paix. Voilà le fardeau du Christ, ainsi s’accomplit sa loi.

8. Nous avons distingué plusieurs sortes de fardeaux. Supposons donc un avare qui entre ici, et que je ne connais pas. Tu le connais, toi, il est ton voisin, mais tu n’es pas avare comme lui ; tu es même compatissant, tu donnes au pauvre de ce que tu as, sans soupirer après ce que tu n’as pas. Tu prêtes l’oreille à ces mots de l’Apôtre : « Prescris aux riches de ce siècle de ne pas s’élever avec orgueil et de ne pas espérer en des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne tout avec abondance pour en jouir ; qu’ils soient riches en bonnes œuvres, qu’ils donnent aisément, « qu’ils partagent et qu’ils se fassent un trésor qui soit pour l’avenir un solide appui, afin de parvenir à la vie éternelle[3] ». Tu as écouté cette recommandation, tu l’as appréciée, apprise, retenue, pratiquée. Continué, continue sans te relâcher, sans cesser. « Qui persévérera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé[4] ». As-tu fait du bien à un homme, à un homme qui est un ingrat ? Ne t’en repens pas.: ce repentir te ferait perdre ce que tu as gagné par ta bonté ; dis plutôt dans ton cœur : Si je ne suis pas remarqué de celui à qui j’ai fait du bien, je le suis de Celui pour qui je l’ai fait ; si cet homme le remarquait, s’il n’était pas un ingrat, sa reconnaissance lui profiterait plus qu’à moi ; pour moi je veux m’attacher à Dieu, qui n’ignore aucune de mes œuvres, aucun même des sentiments de mon cœur ; c’est de lui que j’attendrai ma récompense, mes actions n’ont besoin de lui être attestées par personne. Je suppose donc que tu es ce que je viens de dire et que dans l’assemblée du peuple de Dieu tu as pour voisin un avare, un ravisseur, un homme qui convoite le bien d’autrui. Ce malheureux est fidèle, ou plutôt il en a le

  1. Jn. 1, 1-3
  2. Mat. 11, 28-32
  3. 1Ti. 6, 17-19
  4. Mat. 10, 22