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il m’enlève mon bien ; Seigneur, il me jette en prison ; prenez pitié de moi, sauvez-moi. Voilà jusqu’à quel point on redoute la prison, la perte des biens ; et l’on craint si peu d’être brûlé dans l’enfer ? Enfin, quand le danger devient plus pressant, quand l’infortune va plus loin et qu’on est exposé à la mort, quand quelqu’un redoute de succomber et d’être condamné à mourir, tous crient qu’il faut le secourir, et on appelle toutes sortes de moyens : Aidez-le, courez, dit-on, il s’agit de sa vie. Ce qu’on peut dire de plus pour grossir son infortune, c’est qu’il s’agit de sa vie. Sans doute il faut lui venir en aide et ne pas refuser de le secourir dans un tel embarras ; si l’on a quelque pouvoir, il faut ici l’employer tout entier.

5. Je veux toutefois questionner cet homme en danger, cet homme dont le péril m’émeut jusqu’aux entrailles. Courez, dit-il, il s’agit de ma vie. Il m’est facile de lui répondre : Oui, je cours pour te sauver la vie du corps ; si seulement tu courais pour sauver ton âme ; si seulement tu savais qu’en courant pour ton corps je ne puis rien pour ton âme ! Je préfère donc entendre la vérité de la bouche du Christ, plutôt que les cris que t’inspire une fausse frayeur. « Ne craignez pas, dit-il, ceux qui peuvent tuer le corps, sans pouvoir tuer l’âme[1] ». Tu veux que je courre pour te sauver la vie ; mais voilà celui que tu redoutes, celui dont les menaces te font pâlir, il ne peut tuer ton âme, sa fureur s’arrête à ton corps, c’est à toi d’épargner ton âme. Lui ne peut la tuer, tu le peux, toi ; tu le peux, non avec une lance, mais avec ta langue. Ton ennemi, en te frappant, met fin à cette vie ; « mais la bouche, en mentant, donne la mort à l’âme[2] ». Il faudrait donc que la vue de ce que l’on craint dans le temps, élevât la pensée à ce que l’on doit réellement craindre. On craint la prison, et l’on ne craint point la géhenne ? On craint les bourreaux de la torture, et on ne craint point les anges de l’enfer ? On craint un châtiment temporel, et on ne craint point les supplices du feu éternel ? On craint enfin de mourir momentanément, et on ne craint pas de mourir éternellement ?

6. Après tout, que te fera cet homme qui veut ta mort, que tu crains, que tu as en horreur, que tu fuis, dont la peur ne te laisse pas dormir, qui te fait même trembler durant ton sommeil, s’il t’arrive de le voir en songe ? Il séparera ton âme de ton corps. Mais considère où va cette âme un fois séparée. Car tout ce que peut ton ennemi, en tuant le corps, se borne à en séparer l’âme qui le fait vivre : puisque sa vie vient réellement de la présence de l’âme, et que cette présence, tant qu’elle dure, rend la vie indestructible. L’ennemi qui a juré ta mort, veut donc simplement chasser de ton corps l’âme qui le fait vivre. Mais ton âme aussi n’a-t-elle pas un principe de vie ? L’âme est bien le principe de la vie du corps ; l’âme à son tour n’a-t-elle pas un autre principe de vie ? Si ton corps a dans ton âme un principe de vie ; l’âme également ne puise-t-elle pas la vie quelque part ? Et si la mort du corps consiste à rejeter l’âme ou la vie, l’âme à son tour ne rejette-t-elle pas, en mourant, ce qui la fait vivre ? Eh bien ! si nous parvenons à découvrir, non pas quelle est la vie de ton corps, puisque nous savons que c’est ton âme, mais quelle est la vie de la vie de ton corps, en d’autres termes, quelle est la vie de ton âme ; tu devras, je crois, redouter de perdre cette vie de ton âme, plus que tu ne crains de perdre la vie de ton corps ; une mort doit t’inspirer plus de frayeur que l’autre. Abrégeons ; pourquoi rester si longtemps sur ce point ? L’âme est la vie du corps, et Dieu est la vie de l’âme. L’Esprit de Dieu habite dans notre âme, et par notre âme dans notre corps, lequel devient ainsi le temple de l’Esprit-Saint, que Dieu nous a donné. Cet Esprit est effectivement descendu dans notre âme ; la charité divine ayant été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit que nous avons reçu[3], et le tout dépendant de qui occupe la partie maîtresse. En toi effectivement cette partie maîtresse est la nature la plus noble ; d’où il suit que Dieu occupant cette nature, laquelle est ton cœur, ton intelligence, ton âme, il possède aussi par elle la nature qui lui est subordonnée, c’est-à-dire ton corps. Que l’ennemi s’emporte maintenant, qu’il te menace de la mort, qu’il te la donne s’il le peut, qu’il sépare ainsi ton âme de ton corps ah ! du moins que ton âme ne se sépare point de sa propre vie. Si tu pleures avec raison devant cet ennemi puissant, si, tu dis d’un ton

  1. Mat. 10, 28
  2. Sag. 1, 11
  3. Rom. 5, 5