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la guerre au vice, mais il s’en est trouvé l’esclave. – Un homme, je le conçois, mais ce n’est pas l’Apôtre. – Que répondre, mes frères ? Que l’Apôtre ne ressentait dans sa chair aucune passion dont il n’aurait pas voulu, sains toutefois consentir à ses impressions, à ses suggestions, à ses entraînements, à ses ardeurs et à ses tentations ? Je le déclare devant votre charité : pour se persuader que l’Apôtre n’éprouvait absolument aucune de ces impressions maladives de concupiscence qu’il devait combattre, il faudrait être hardi. Je voudrais pourtant qu’il en fût ainsi ; car loin de porter envie aux Apôtres, nous devons les imiter. Cependant, mes chers amis, j’entends l’Apôtre avouer lui-même qu’il n’est point parvenu encore à toute la perfection de sainteté que la foi nous révèle dans les anges ; dans les anges dont nous espérons néanmoins devenir les égaux, si nous parvenons au terme de nos désirs. Le Seigneur nous promet-il autre chose pour le moment de la résurrection, quand il dit : « Les hommes, à la résurrection, ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris ; car ils ne mourront plus, mais ils seront égaux aux anges de Dieu[1] ? »

4. Pour toi, me dira-t-on, comment sais-tu que l’Apôtre Paul n’était point parvenu encore à la justice et à la perfection des anges ? – Ce n’est pas en outrageant cet apôtre, c’est en ne m’en rapportant qu’à lui-même, qu’à son témoignage, sans m’inquiéter des soupçons ou des louanges immodérées dont il peut être l’objet. Parlez-nous donc de vous-même, ô saint Apôtre, et dans un passage où personne ne doute qu’il s’agisse de vous ; puisqu’il est des hommes qui prétendent qu’en écrivant : « Je ne fais pas ce que je veux, mais ce que je hais », vous personnifiiez en vous le travail, les défaillances, la défaite et l’esclavage de je ne sais quel autre que vous. Parlez-moi de vous, dans un passage où, de l’aveu de tous, il est bien question de vous. « Mes frères, dit cet Apôtre, je ne crois pas que j’ai atteint le but ». Que faites-vous donc ? « Une chose : oubliant ce qui est en arrière et m’avançant vers ce qui est en avant, je tends au terme », je n’y suis pas parvenu ; je tends au terme, à la palme de la vocation céleste de Dieu dans le Christ Jésus[2] ». Il venait de dire aussi : « Non que déjà j’aie atteint jusque-là, ou que déjà je sois parfait[3] ». Mais voici de nouvelles objections. L’Apôtre en parlant ainsi, dit-on, faisait entendre qu’il n’était point arrivé encore à l’immortalité, il n’exprimait point qu’il n’avait pas atteint la perfection de la justice. Il était dès lors aussi juste que les anges, mais il n’était pas immortel comme eux. Et il est bien sûr, bien sûr, soutiennent-ils, que telle était sa pensée. – Tu viens de nous dire : L’Apôtre était aussi juste que les anges, mais il n’était pas encore immortel comme eux. Ainsi donc il possédait la sainteté dans toute sa perfection, mais en courant après la palme céleste il cherchait l’immortalité glorieuse.

5. Faites-nous donc connaître, saint Apôtre, un autre passage plus clair encore où vous confessez vos faiblesses sans parler de vos aspirations à l’immortalité. – Ici encore j’entends des murmures, des objections, il me semble lire dans la pensée de plusieurs. Il est vrai, me dit-on, je sais le passage que tu vas citer ; l’Apôtre y avoue des faiblesses, mais ce sont les faiblesses de la chair et non de l’esprit, du corps et non de l’âme : or c’est dans l’âme et non dans le corps qu’habite la perfection de la justice. Qui ne sait effectivement que l’Apôtre avait un corps fragile, un corps mortel ? Ne dit-il pas lui-même : « Nous portons ce trésor dans des vases d’argile[4] ». Eh ! que t’importe ce vase d’argile ? Parle du trésor qu’il y portait. – Cherchons par conséquent s’il lui manquait quelque chose, et s’il pouvait ajouter encore à l’or divin de sa sainteté. Pour ne paraître pas lui manquer de respect, interrogeons-le lui-même. « Et de peur, dit-il, que la grandeur de mes révélations ne m’élève ». Ici, sans aucun doute, tu reconnais l’Apôtre à la grandeur de ses révélations et à la crainte de tomber dans l’abîme de l’orgueil. Or pour savoir que ce même Apôtre, qui voulait sauver les autres, était encore en traitement lui-même ; pour savoir, dis-je, qu’il était encore en traitement, ne considère pas seulement les honneurs dont il était comblé ; apprends quel remède le médecin suprême lui faisait prendre contre l’enflure de l’orgueil ; apprends-le, non pas de moi, mais de lui. Entends son aveu, pour

  1. Mat. 12, 30 ; Luc. 20, 35, 36
  2. Phi. 3, 13-14
  3. Phi. 3, 12
  4. 2Co. 4, 7