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SERMON CCXIX. POUR LA VEILLÉE DE PÂQUES. I

ANALYSE. – C’est une exhortation à garder et à sanctifier cette veillée, que les païens mêmes observent pour s’appliquer à blasphémer.

En nous excitant à l’imiter et en rappelant plusieurs preuves insignes de sa vertu, l’apôtre saint Paul dit qu’il veillait très-souvent[1]. Avec quel empressement ne devons-nous donc pas observer cette veillée, laquelle est comme la mère de toutes les autres, puisque le monde entier est sur pied ? Je ne parle pas de ce monde dont il est écrit : « Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui ; car tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, est convoitise des yeux et ambition du siècle, ce qui ne vient pas du Père[2] ». Cette espèce de monde, effectivement, c’est-à-dire ces fils de la défiance, est gouvernée par le démon et par ses anges, par ces esprits contre lesquels nous avons à lutter, comme le dit encore saint Paul dans ce passage : « Notre lutte ne s’engage pas contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres[3] » ; de ténèbres telles que nous avons été, nous qui sommes maintenant lumière dans le Seigneur, et qui, à la lumière de cette veillée, devons résister à ces chefs ténébreux. Ce n’est donc pas ce monde qui veille en cette nuit solennelle, c’est celui dont il est écrit : « Dieu était dans le Christ pour se réconcilier le monde et ne leur imputer pas leurs péchés[4] ». Cependant la solennité de cette nuit est si éclatante par tout l’univers qu’elle force à veiller de corps ceux-là mêmes dont le cœur est, je ne dirai pas endormi, mais enseveli dans la sombre impiété de l’enfer. Oui, ceux-là mêmes veillent durant cette nuit où les yeux mêmes voient l’accomplissement de cette antique prédiction : « Et la nuit sera éclairée à l’égal du jour[5] ». Ainsi sont éclairés les cœurs pieux à qui il a été dit : « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur[6] ». Nos envieux jouissent aussi de cette lumière, en sorte qu’elle brille et pour ceux qui voient dans le Seigneur, et pour ceux qui portent envie au Seigneur. Cette nuit donc veillent et le monde ennemi de Dieu, et le monde réconcilié avec lui, Celui-ci veille pour bénir le Médecin qui l’a sauvé ; celui-là veille pour outrager le Juge qui l’a condamné. Celui-ci veille avec la ferveur et la lumière dans l’âme ; celui-là veille avec la fureur et la rage dans les dents. Enfin, la charité de l’un, la haine de l’autre ; l’ardeur chrétienne de l’un et l’envie diabolique de l’autre, ne, laissent dormir aucun d’eux pendant cette fête. Aussi bien nos ennemis eux-mêmes nous apprennent à leur insu et en veillant par haine contre nous, comment nous devons veiller par amour pour nous. Parmi ceux en effet qui ne portent encore à aucun titre le nom du Christ, il en est beau coup que la douleur empêche de dormir cette nuit, il en est beaucoup aussi qui en sont empêchés par la honte ; et ceux, en petit nombre, qui touchent à la foi, sont tenus en éveil par la crainte de Dieu. C’est donc pour différents motifs qu’on veille en cette solennité. Comment doit veiller dans la joie l’ami du Christ, quand son ennemi veille dans la douleur ? Lorsque le Christ reçoit tant de gloire, avec quelle ardeur doit veiller le chrétien, quand le païen même rougirait de dormir ? À celui qui est entré déjà dans la grande maison, comment n’est-il pas convenable de veiller en une telle fête, quand veille déjà Celui qui se dispose à y pénétrer ?

  1. 2Co. 11, 27
  2. 1Jn. 2, 15, 16
  3. Eph. 6, 42
  4. 2Co. 5, 19
  5. Psa. 138, 12
  6. Eph. 5, 8