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résidence du mal, en d’autres termes, pendant que tu es dans ce siècle, dans cette vie pleine de tentations, de morts, de gémissements et de terreurs, dans ce monde réellement mauvais, fais choix d’une autre contrée pour y porter ton domicile. Mais tu ne saurais le transporter au séjour du bien, si tu n’as fait du bien dans ce pays du mal. Quelle résidence que cette autre où personne ne souffre de la faim ? Mais pour habiter cette heureuse patrie où la faim est inconnue ; dans la patrie malheureuse où nous sommes, partage ton pain avec celui qui a faim. Là nul n’est étranger, chacun est dans son pays. Veux-tu donc habiter ce séjour heureux où il n’y a point d’étranger ? dans ce séjour malheureux ouvre ta porte à celui qui est sans asile. Donne l’hospitalité, dans ce pays du malheur, à l’étranger, afin d’être admis toi-même sur la terre fortunée où tu ne pourras la recevoir. Sur cette terre bénie, personne n’est sans vêtement, il n’y a ni froid ni chaleur excessifs ; à quoi bon des habitations et des vêtements. Au lieu d’habitation on y trouve la protection divine ; on y trouve l’abri dont il est dit : « Je me réfugierai à l’ombre de vos ailes[1] ». Ici donc reçois dans ta demeure celui qui n’en a pas, et tu pourras parvenir au lieu fortuné où tu trouveras un abri qu’il ne te faudra point restaurer, attendu que la pluie ne saurait le détériorer. Là jaillit perpétuellement la fontaine de vérité ; eau féconde qui répand la joie et non l’humidité, source de véritable vie. Que voir en effet dans ces mots : « En vous est la fontaine de vie[2] » ; sinon ceux-ci : « Le Verbe était en Dieu[3] ? »

3. Ainsi donc, mes bien-aimés, faites le bien dans ce séjour du mal, afin de parvenir au séjour heureux dont nous parle en ces termes Celui qui nous le prépare : « Je veux que là où je suis ils soient aussi avec moi ». Il est monté pour nous le préparer, afin que le trouvant prêt nous y entrions sans crainte. C’est lui qui l’a préparé ; demeurez donc en lui. Le Christ serait-il pour toi une demeure trop étroite ? Craindrais-tu encore sa passion ? Mais il est ressuscité d’entre les morts, et il ne meurt plus, et la mort n’aura plus sur lui d’empire[4]. Ce siècle est à la fois le séjour et le temps du mal. Faisons le bien dans ce séjour du mal, conduisons-nous bien dans ce temps du mal ; ce séjour et ce temps passeront pour faire place à l’éternelle habitation et aux jours éternels du bien, lesquels ne seront qu’un seul jour. Pourquoi disons-nous ici des jours mauvais ? Parce que l’un passe pour être remplacé par un autre. Aujourd’hui passe pour être remplacé par demain, comme hier a passé pour être remplacé par aujourd’hui. Mais où rien ne passe on ne compte qu’un jour. Ce jour est aussi et le Christ et son Père, avec cette distinction que le Père est un jour qui ne vient d’aucun jour, tandis que le Fils est un jour venu d’un jour. Ainsi donc Jésus-Christ Notre-Seigneur, par sa passion, nous prêche les fatigues et les accablements de ce siècle ; il nous prêche, par sa résurrection, la vie éternelle et bienheureuse du siècle futur. Souffrons le présent, ayons confiance dans l’avenir. Aussi le temps ; actuel que nous passons dans le jeûne et dans des observances propres à nous inspirer la contrition, est-il l’emblème des fatigues du siècle présent ; comme les jours qui se préparent sont l’emblème du siècle futur, où nous ne sommes pas encore. Hélas ! oui, ils en sont l’emblème, car nous ne le tenons pas. La tristesse doit durer en effet jusqu’à la passion ; après la résurrection, les chants de louanges.

  1. Psa. 56, 2
  2. Psa. 35, 10
  3. Jn. 1, 14
  4. Rom. 6, 9