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modeste ait entretenues entre nos frères jusqu’à ce jour, Ah ! que maintenant au moins on sache y mettre fin. Le soleil ne devait pas se coucher sur elles[1] ; après que tant de fois le soleil s’est couché et levé sur elles, qu’elles s’éteignent enfin et se couchent à leur tour sans se relever jamais. La négligence oublie d’y mettre un terme ; l’opiniâtreté refuse d’accorder le pardon à qui le sollicite, et la honte orgueilleuse dédaigne de le demander. Ces trois vices entretiennent ces inimitiés funestes qui tuent les âmes en qui elles ne meurent pas. À la négligence donc opposez le souvenir, la compassion à l’opiniâtreté, et une humble prudence à la honte orgueilleuse. Se souvient-on d’avoir négligé de se réconcilier ? Qu’on s’éveille et qu’on secoue cette torpeur. Veut-on exiger d’un autre tout ce qu’il doit ? Qu’on se rappelle combien soi-même on doit à Dieu. Rougit-on de demander pardon à son frère ? Qu’on surmonte cette honte funeste par une louable crainte. En mettant ainsi fin, en donnant ainsi la mort à ces inimitiés fatales, vous recouvrerez la vie. La charité s’acquitte de tous ces devoirs, car elle n’agit pas insolemment[2]. Si donc vous avez la charité, mes frères, exercez-la par une sainte conduite ; et si vous en manquez, obtenez-la par la prière.

2. Comme nous devons maintenant rendre nos prières plus ferventes ; afin de leur donner de solides appuis, faisons l’aumône avec plus de ferveur aussi ; ajoutons à nos largesses ce que nous nous retranchons, par le jeûne et par l’abstinence, de nos aliments ordinaires. Et toutefois ceux qui par besoin ou par habitude contractée ne peuvent pratiquer l’abstinence ni conséquemment donner aux pauvres ce qu’ils se retranchent, doivent donner plus abondamment encore, donner avec piété précisément parce qu’ils ne se retranchent rien, s’ils ne peuvent donner quelque valeur à leurs supplications en châtiant leurs corps, ils doivent enfermer dans le cœur du pauvre une aumône plus abondante, car elle saura prier pour eux. Voici en effet le conseil éminemment salutaire et digne de toute confiance que donnent les saintes Écritures : « Enferme ton aumône dans le cœur de l’indigent, et elle priera pour toi[3] ».

3. Nous invitons aussi ceux qui s’abstiennent de viandes à ne pas rejeter comme impurs les vases où elles ont cuit. « Tout est pur, dit l’Apôtre, pour ceux qui sont purs[4] ». Aux yeux de la vraie science, ces sortes d’observances n’ont point pour but l’éloignement de ce qui est impur, mais la répression de la concupiscence. Combien donc s’égarent ceux qui se privent de chairs pour se procurer d’autres aliments plus difficiles à préparer et de plus haut prix ! Ce n’est point pratiquer l’abstinence, c’est modifier ses jouissances. Comment inviter ces hommes à donner aux pauvres ce qu’ils se retranchent, puisqu’ils ne renoncent à leurs aliments ordinaires que pour dépenser davantage à s’en procurer d’autres ? À cette époque donc jeûnez plus fréquemment, dépensez moins pour vous-mêmes et donnez plus largement aux malheureux.

Il convient aussi de quitter maintenant le lit conjugal. « pour un temps, dit l’Apôtre, et pour s’appliquer à la prière ; puis revenez comme vous étiez, de crainte que Satan ne vous tente par votre incontinence[5] ». Est-il si pénible et si difficile, quand on est marié, d’observer durant quelques jours ce que les saintes veuves ont entrepris de faire jusqu’à la fin de leur vie et les vierges consacrées durant leur vie tout entière ? Mais en accomplissant tous ces devoirs, il faut s’enflammer d’ardeur et réprimer l’orgueil. Que nul ne se réjouisse du mérite d’avoir donné, jusqu’à perdre le mérite de l’humilité. Quelles que soient les autres grâces que l’on ait reçues de Dieu, il n’en est aucune pour nous faire mériter en rien, si elles ne sont unies par le lien de la charité.

  1. Eph. 4, 26.
  2. 1Co. 13, 4.
  3. Sir. 29, 15.
  4. Tit. 1, 15.
  5. 1Co. 7, 5.