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SERMON CCVIII. POUR LE CARÊME IV. LE JEÛNE, LA PRIÈRE ET LES LARMES.

ANALYSE. – C’est surtout en Carême qu’il faut pratiquer le jeûne, l’aumône et la prière. Le jeûne, en restreignant les jouissances au lieu d’en changer l’objet, et en gardant la continence. L’aumône, en donnant aux pauvres ce qu’on se retranche sur la nourriture, et en pardonnant de bon cœur à ceux dont on a à se plaindre. Ainsi méritera-t-on d’être exaucé dans ses prières.

1. Voici le moment solennel où nous devons avertir dans le Seigneur et exciter l’ardeur de votre charité ; et pourtant l’époque elle-même ; quand nous garderions le silence, vous invite et vous exhorte suffisamment à vous appliquer au jeûne, à la prière et à l’aumône avec plus d’ardeur et de générosité que de coutume. Si notre ministère fait ici entendre la divine parole, c’est pour que notre voix, comme une trompette guerrière, ranime les forces de votre esprit dans la lutte qu’il va soutenir contre la chair. Jeûnez donc en vous abstenant de quereller, de frapper, de crier ; il faut, avec prudence et bonté, laisser quelque relâche à ceux qui sont sous votre joug, tempérer l’austérité et là sévérité, sans toutefois rompre les liens d’une salutaire discipline. De plus, en vous abstenant, pour châtier le corps, de quelques aliments permis d’ailleurs, souvenez-vous que « pour ceux qui sont purs tout est pur » ; et ne considérez comme impur que ce qui a pu être souillé par l’infidélité. « Car rien n’est pur, dit l’Apôtre, pour les impurs et les infidèles[1] ». Mais quand les fidèles assujettissent leurs corps à la mortification ; l’esprit pro : file des jouissances retranchées au corps. Aussi faut-il avoir soin, quand vous vous abstenez d’aliments gras, de rechercher une nourriture de prix soit pour compenser la privation, soit même pour arriver au-dessus. Lors en effet qu’on châtie le corps et qu’on le réduit en servitude[2], c’est pour restreindre les jouissances et non pour en changer l’objet. Qu’importe l’espèce des aliments quand on s’y attache avec une convoitise immodérée et coupable ? Les Israélites regrettaient non-seulement la chair, mais aussi certains fruits et certains produits des champs, lorsqu’ils furent condamnés par la voix de Dieu[3]. Ce fut aussi, non pour un pâté de chair de porc, mais pour un plat cuit de lentilles qu’Esaü perdit ses droits d’aînesse[4]. Je ne rappellerai pas ce que le Seigneur dit du pain même, lorsqu’ayant faim il fut tenté par le démon[5] ; il ne cherchait pas sans doute à dompter sa chair comme une chair rebelle, mais il nous apprenait dans sa miséricorde ce que nous devons répondre lorsque nous éprouvons des tentations de ce genre. Ainsi donc, mes bien-aimés, quels que soient les aliments dont vous voulez vous priver, soyez fidèles à votre résolution pour observer les règles de la tempérance religieuse, et non pour condamner injustement et sacrilègement les œuvres de Dieu. Et vous qui êtes unis par le lien conjugal, c’est maintenant surtout que vous devez, par respect pour la recommandation de l’Apôtre, vous abstenir pour un temps et pour vaquer à la prière[6]. Ne serait-il point par trop honteux de ne pas faire maintenant ce qu’en tout temps il est avantageux de faire ? Serait-il trop pénible d’observer annuellement et à certains jours solennels, quand on est marié, ce que les veuves se sont engagées à faire durant une partie de leur vie, et les vierges consacrées durant leur vie tout entière ?

2. C’est aussi comme un devoir de multiplier ses aumônes durant cette époque. Où placer plus convenablement ce que vous vous retranchez par l’abstinence, que dans le sein de l’indigence ? Et serait-il rien de plus

  1. Tit. 1, 15 ; Rom. 14, 20.
  2. 1Co. 9, 27.
  3. Nom. 11, 5, 33-34.
  4. Gen. 25, 30-34.
  5. Mat. 4, 3-4.
  6. 1Co. 7, 5.