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comme une hostie agréable au Seigneur. Aussi le même Apôtre disait-il encore : « Je vous conjure donc, mes frères, par la miséricorde de Dieu, d’offrir vos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu[1] ». Telle est la croix dont le serviteur de Dieu se glorifie, au lieu d’en rougir. « Loin de moi, s’écrie-t-il, de me glorifier, sinon de la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde[2] ». À cette croix dont nous devons rester attachés, non l’espace de quarante jours, mais toute notre vie : car ce nombre mystérieux de quarante jours la désigne dans toute son étendue ; soit parce qu’avant de vivre l’homme est quarante jours, selon l’opinion de plusieurs, à s’organiser dans le sein maternel ; soit parce que les quatre Évangiles sont en accord parfait avec les dix préceptes de la loi, et que l’union de ces deux nombres dans le nombre quarante montre que nous avons besoin, durant le cours de cette vie, de l’un et de l’autre Testament ; soit enfin pour d’autres raisons meilleures que saura découvrir un esprit plus pénétrant et plus clairvoyant. Aussi Moïse, Élie et le Seigneur lui-même ont jeûné quarante jours. C’était pour nous faire entendre que le but poursuivi par Moïse, par Élie et par Jésus-Christ, c’est-à-dire par la Loi, par les Prophètes et par l’Évangile, est de nous éloigner de l’imitation et de l’amour du siècle, de nous porter à crucifier en nous le vieil homme, sans nous laisser aller aux excès de table et à l’ivrognerie, aux dissolutions et aux impudicités, à l’esprit de contention et à l’envie ; de nous déterminer à nous revêtir du Seigneur Jésus-Christ, sans chercher à contenter la chair dans ses convoitises[3]. C’est ainsi qu’il te faut vivre toujours, chrétien ; si tu ne veux point te laisser prendre les pieds dans la boue dont la terre est couverte, garde-toi de descendre de la croix ; et si tu dois y rester pendant toute ta vie, à combien plus forte raison durant ce temps de Carême, lequel est non-seulement une partie de la vie, mais le symbole de la vie.

2. En tout autre temps ne laissez appesantir vos cœurs ni par la crapule ni par l’ivresse ; mais dans celui-ci pratiquez encore le jeûne[4]. En tout autre temps évitez l’adultère, la fornication et tous les plaisirs défendus ; dans celui-ci 101, abstenez-vous même de vos épouses. Ce que vous vous retranchez par le jeûne, ajoutez-le à vos bonnes œuvres ordinaires en en faisant des aumônes. Employez à la prière le temps que vous passez à rendre le devoir conjugal. Au lieu de s’efféminer dans des affections charnelles, que le corps se prosterne pour s’appliquer aux supplications qui purifient. Qu’on étende pour prier les mains qui se croisaient pour embrasser. Quant à vous qui jeûnez dans les autres temps, maintenant jeûnez encore plus. Vous qui d’ordinaire crucifiez vos corps par une continence perpétuelle, appliquez-vous en ce moment à implorer votre Dieu plus fréquemment et avec plus de ferveur. Vivez tous avec un plein accord, soyez tous fidèles l’un à l’autre, embrasés durant ce pèlerinage du saint désir de la patrie et brûlants d’amour. Que l’un n’envie pas à l’autre, ni ne tourne en dérision les faveurs divines qu’il ne possède pas lui-même. En fait de dons spirituels regarde comme à toi ce que tu aimes dans ton frère, et qu’à son tour il regarde comme sien ce qu’il aime en toi. Que sous prétexte d’abstinence on se garde de changer ses plaisirs plutôt que d’y renoncer, en se procurant soit des aliments recherchés, en place de la chair dont on s’abstient, soit des boissons rares, au lieu du vin dont on se prive : ne serait-ce pas favoriser la volupté quand il s’agit de dompter la chair ? Sans doute, pour ceux qui sont purs tous les aliments le sont ; mais il n’est personne pour qui la sensualité le soit.

3. Surtout, mes frères, abstenez-vous des querelles et des discordes. Souvenez-vous de ces vifs reproches adressés par un prophète ; « On vous voit, quand vous jeûnez, suivre vos penchants, frapper et meurtrir de coups ceux qui portent votre joug ; on vous entend crier sans cesse[5] ». Après d’autres reproches de même nature, il ajoute : « Tel n’est pas le jeûne qui me plaît, dit le Seigneur ». Voulez-vous crier ? Poussez souvent le cri dont il est dit : « J’ai crié vers le Seigneur[6] ». Car ce cri ne ressent pas l’amertume, mais la charité ; ce n’est pas le cri de la bouche, mais le cri du cœur ; ce n’est pas un cri semblable à cet autre : « J’attendais qu’il accomplît la justice, et il a fait l’iniquité ; au lieu d’être juste il a crié[7] ».

  1. Rom. 12, 1
  2. Gal. 6, 14
  3. Rom. 13, 13-14
  4. Luc, 21, 34
  5. Isa. 58, 3-5
  6. Psa. 141, 2
  7. Isa. 5, 7