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d’esprit, que chacun entende tout et permette aux autres d’entendre également tout. De plus, il n’y a pas ici succession, en ce sens que l’un devrait d’abord recueillir la parole, puis la passer à un autre ; c’est au même moment qu’elle se présente à tous et que tout entière elle se fait entendre de chacun ; et si le discours pouvait être retenu totalement par la mémoire, chacun de vous en retournant l’emporterait tout entier, comme vous vouliez tous en venant l’entendre tout entier. Donc ce Verbe de Dieu par qui tout a été fait et qui renouvelle tout sans sortir de lui-même ; qui ne s’arrête point dans l’espace, qui ne s’allonge point avec le temps, que ne diversifient point des syllabes brèves ou longues, qui n’est pas une suite de sons et que ne termine point le silence ; à combien plus forte raison ce Verbe immense a-t-il pu, en prenant un corps, féconder le sein de sa Mère sans quitter le sein de son Père ; sortir de l’un pour se montrer aux hommes, rester dans l’autre pour éclairer les anges ; venir de l’un sur la terre, et dans l’autre déployer le ciel ; dans l’un se faire homme, et dans l’autre créer les hommes ? .

3. Nul donc ne doit croire que le Fils de Dieu se soit changé et altéré pour devenir Fils de l’homme ; croyons plutôt que sans rien changer à sa divine substance et en prenant dans toute sa perfection la nature humaine, il demeure Fils de Dieu tout en devenant fils de l’homme. Car, s’il est écrit. « Le Verbe était Dieu » ; et encore : « Le Verbe s’est fait chair[1] » ; ce n’est pas pour faire entendre qu’en se faisant chair il ait cessé d’être Dieu ; n’est-il pas dit qu’après sa naissance charnelle ce Verbe fait chair est « Emmanuel ou Dieu avec nous[2] ? » Pour s’échapper par notre bouche, notre pensée intérieure devient une voix, sans pourtant se changer en voix. Cette pensée reste sans altération lorsqu’elle prend une voix pour se produire ; elle demeure en nous pour continuer à se faire comprendre, pendant que le bruit la porte au-dehors pour la faire entendre ; ce bruit ne dit rien autre chose que ce qui avait frappé dans le silence. Ainsi, tout en devenant voix, ma pensée ne se confond pas avec elle ; elle reste dans la lumière de l’intelligence, et quand elle s’unit au bruit que fait mon organe, c’est pour arriver à vos oreilles sans quitter mon esprit. Remarquez-le : je parle ici non pas de la méditation silencieuse qui cherche des expressions grecques, latines ou de tout autre langue ; mais de la méditation qui cherche la pensée même avant de s’occuper du langage, lorsque cette pensée, qui a besoin, pour se produire, du vêtement de la parole, est en quelque sorte, dans le sanctuaire intérieur, toute nue aux yeux de l’intelligence. Et pourtant cette pensée de l’intelligence, comme le son qui l’exprime, est muable et changeante ; il n’en reste rien quand on l’a oubliée, comme il ne reste rien de la parole quand on a fait silence. Mais le Verbe de Dieu subsiste éternellement, et subsiste immuablement.

4. Aussi lorsqu’il a pris un corps dans le temps afin de partager notre vie temporelle, il n’a point perdu son éternité, mais au corps même il a conféré l’immortalité. C’est ainsi que « pareil à l’époux quittant sa couche nuptiale, il s’est élancé comme un géant pour parcourir sa carrière[3]. – Il avait la nature de Dieu et ne croyait pas usurper en s’égalant à Dieu » ; mais afin de devenir pour nous ce qu’il n’était pas, « il s’est anéanti lui-même », non pas en perdant sa divine nature, mais en prenant une nature d’esclave » ; et par cette nature « il est devenu semblable aux hommes et s’est montré homme », non point par sa propre substance, mais « par l’extérieur[4] ». Par l’extérieur, car tout ce que nous sommes, nous, dans l’âme ou dans le corps, est notre nature ; pour Jésus-Christ, c’est l’extérieur. Si nous n’avions notre nature, nous n’existerions pas ; pour lui, s’il ne l’avait pas, il n’en serait pas moins Dieu. Quand il l’a prise, il s’est fait homme en restant Dieu ; de manière qu’il peut dire de lui ces deux choses également incontestables, l’une, qui a trait à son humanité : « Le Père est plus grand que moi[5] » ; l’autre, qui a rapport à sa divinité : « Mon Père et moi nous sommes un[6] ». Car si le Verbe s’était confondu avec la chair, Dieu avec l’homme, il aurait pu dire à la vérité : « Mon Père est plus grand que moi », puisque Dieu est plus grand que l’homme ; mais nullement : « Mon Père et moi nous sommes un » ; attendu que l’homme n’est pas une même chose avec Dieu. Tout au plus aurait-il pu s’exprimer

  1. Jn. 1, 1, 14.
  2. Mat. I.
  3. Psa. 18, 6.
  4. Phi. 2, 6, 7.
  5. Jn. 14, 28.
  6. Id. 10, 30.