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part choisie par Marthe ne lui sera pas conservée toujours. Oui, quiconque fournit aux saints ce qui est nécessaire à la vie corporelle, ne le fera pas toujours ; il n’aura pas toujours à leur rendre ces services. Pourquoi les leur rend-on en effet, sinon parce qu’ils sont faibles ? Pourquoi encore, sinon parce qu’ils sont mortels ? Pourquoi, sinon parce qu’ils ont faim et soif ? Mais qu’éprouveront-ils de tout cela, lorsque ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel sera devenu immortel ? Quel service à rendre au besoin, lorsqu’il n’y aura plus de besoin ? Alors donc il n’y aura plus de travail, mais on en aura la récompense. Comment donner à manger, quand nul n’aura faim ? à boire, quand personne n’aura soif ? A qui offrir l’hospitalité, quand il n’y aura point d’étranger ? C’était afin de pouvoir récompenser de la pratique de la charité, que le Seigneur daignait se laisser dans le besoin avec ses apôtres. S’il avait faim et soif, ce n’était point par nécessité, c’était par bonté. Il était bon que le Créateur de toutes choses fût dans le besoin ; car c’était un moyen de rendre heureux qui l’assisterait. De plus, quand on assistait ainsi le Sauveur, que lui donnait-on ? qui lui donnait ? où prenait-on pour lui donner ? et à qui donnait-on ? Que donnait-on ? A manger au pain même. Qui – lui donnait ? Celui qui voulait recevoir de lui bien davantage. Où prenait-on ? Chacun donnait-il de ce qui lui appartenait ? Mais que possédait-on qu’on ne l’eût reçu ? À qui enfin donnait-on ? N’est-ce pas à Celui qui avait créé tout à la fois, et ce qu’on lui donnait, et celui qui lui donnait ? Quel noble service ! quel emploi magnifique ! quelle immense faveur ! Et pourtant « Marie a choisi la meilleure part, laquelle ne lui sera point ôtée ». Ainsi donc la part de Marthe passe ; mais, je le répète, sa récompense ne passe point.

5. La part même de Marie ne passe point. Voici comment. D’où venait, dites-moi, la joie de Marie en écoutant ? Que mangeait-elle ? Que buvait-elle ? Savez-vous ce qu’elle mangeait, ce qu’elle buvait ? Demandons-le au Seigneur même ; demandons-lui quel banquet il prépare à ses amis. « Heureux, dit-il, ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés[1] ». – C’est à cette fontaine, c’est dans ce grenier que – puisait Marie les quelques miettes qu’elle mangeait avec avidité aux pieds du Seigneur. Le Seigneur lui donnait bien alors autant qu’elle pouvait prendre ; mais ni ses disciples, ni ses apôtres mêmes n’étaient alors capables de recevoir autant qu’il donnera un jour au céleste festin. Aussi leur disait-il : « J’ai encore beaucoup de choses à vous enseigner ; mais vous ne sauriez les entendre encore[2] ». Je demandais donc d’où venait le bonheur de Marie ; ce qu’elle mangeait, ce qu’elle buvait dans son cœur avec une avidité si soutenue. C’était la justice, la vérité. La vérité faisait ses délices, elle écoutait la vérité ; elle aspirait à la vérité, soupirait après elle ; elle en avait faim et elle la mangeait ; soif et elle la buvait ; elle se rassasiait ainsi sans rien retrancher à ce qui lui servait de nourriture. Quelles étaient les délices de Marie ? Que mangeait-elle ? Je m’arrête à cette idée, parce qu’elle fait mes délices à moi-même. Je l’ose donc déclarer, elle mangeait Celui qu’elle entendait. Elle mangeait la vérité ; mais n’a-t-il pas dit : « Je suis la Vérité[3] ? » Que dire encore ? Lui se laissait manger, comme étant un pain, car il a dit aussi : « Je suis le pain descendu du ciel[4] ». Voilà, voilà le pain qui nourrit sans s’épuiser.

6. Je prie votre charité de se rendre ici fort attentive. Servir les saints, leur préparer à manger, leur offrir à boire, pour eux dresser la table, préparer un lit, leur laver les pieds et les recevoir dans sa demeure, tout cela, disons-nous, doit passer. Mais qui oserait avancer que si maintenant nous vivons de la vérité, nous n’en vivrons plus, une fois parvenus à l’immortalité ? N’est-il pas vrai que nous ne pouvons aujourd’hui recueillir que des miettes et qu’alors nous serons assis à la table de Dieu même ? C’est de ces aliments spirituels que parlait le Sauveur, lorsque faisant l’éloge de la foi du centurion, il disait : « En « vérité je vous le déclare, je n’ai pas trouvé dans Israël une foi aussi grande. Aussi, je vous l’annonce, beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et prendront place, avec Abraham, Isaac et Jacob, au festin du royaume des cieux[5] ». Loin de nous la pensée de comparer ces aliments célestes à ceux dont il est question dans ce passage de l’Apôtre : « La nourriture est pour l’estomac, et l’estomac

  1. Mat. 5, 6
  2. Jn. 16, 12
  3. Jn. 95, 16
  4. Id. 6, 14
  5. Mat. 8, 10-11