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encore. Pour recouvrer ta beauté, reviens donc à la beauté même ; reviens et dis à ce Dieu qui peut seul te satisfaire : « S’en aller « loin de vous, c’est se perdre ». De quoi donc ai-je besoin ? Ah ! « mon bonheur est de m’attacher à Dieu [1] ». Donc élève ton cœur ; qu’il ne reste ni sur la terre, ni au milieu de trésors menteurs, ni dans des objets qui ne sont que pourriture. « L’avarice est la racine de tous les maux ». Ne l’a-t-on pas vu dans Adam même ? S’il a cherché plus qu’il n’avait reçu, c’est que Dieu ne lui suffisait point.

10. Mais que feras-tu de ce que tu possèdes, toi qui es riche ? Le voici. Tu ne t’enfles plus d’orgueil ; c’est bien. Tu n’espères plus dans l’inconstance des richesses, mais au Dieu vivant, qui nous donne tout abondamment pour en jouir ; à merveille. N’hésite donc pas à pratiquer encore ce qui suit : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres ». Méditons ces paroles et croyons ce que nous ne voyons pas encore. Tu disais : Je possède de l’or, mais sans affection. Remarque que ce défaut d’affection est en toi : si donc tu as pour moi quelque égard, daigne me le montrer aussi ; oui, montre à ton frère ce que tu ne dérobes point au regard de ton Dieu. Comment te le montrer, demandes-tu ? En voici le moyen : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres, qu’ils donnent aisément ». Fais consister ton opulence à donner aisément. En vain le pauvre voudrait donner, il ne le peut ; mais autant la chose lui est impossible, autant elle t’est facile. Mets donc pour toi l’avantage d’être riche à faire sans délai le bien que tu veux faire. « Qu’ils donnent aisément, qu’ils partagent ». Est-ce perdre ? « Qu’ils s’amassent un trésor qui soit un bon appui pour l’avenir ». Toutefois ne désirons point posséder alors ni or, ni argent, ni domaines, ni rien de ce qui charme ici-bas les regards humains. Quoiqu’on nous dise Transportez, placez là votre trésor, l’Apôtre tient à nous mettre en garde contre ces idées trop charnelles, et il nous dit : « Afin d’acquérir la vie véritable » ; non pas cet or qui reste à terre, non pas ces biens qui pourrissent et qui passent, mais « la vraie vie ». Il est vrai, nos biens émigrent en quelque sorte, lorsque d’ici ils montent là-haut ; là pourtant nous ne les aurons pas tels que nous les y envoyons. Le Seigneur notre Dieu veut donc faire de nous des espèces de commerçants ; lui-même échange avec nous. Nous donnons ce qui se trouve ici, partout, pour recevoir ce qui est près de lui en pleine abondance ; semblables à ces nombreux négociants qui échangent leurs marchandises, qui donnent ici une chose pour ailleurs en recevoir d’autres. Si, par exemple, tu disais à ton ami : Je t’offre ici de l’or, mais donne-moi de l’huile en Afrique, cet or voyagerait et ne voyagerait pas, mais tu aurais ce que tu désires. Telle est, mes frères, l’idée qu’il nous faut avoir de notre commerce spirituel. Que donnons-nous d’une part et que recevons-nous de l’autre ? Nous donnons ce que malgré la plus énergique volonté nous ne saurions emporter avec nous. Pourquoi le laisser périr ? Donnons ici ce qui est moins, pour recevoir ailleurs ce qui est plus. Nous donnons donc la terre pour le ciel, ce qui est temporel pour ce qui est éternel, ce qui se corrompt pour ce qui est inaltérable ; enfin nous donnons ce que Dieu nous a donné pour recevoir en échange Dieu lui-même. Ah ! ne nous lassons point de faire cet échange, d’exercer cet heureux et ineffable négoce. Mettons à profit notre existence sur la terre, notre naissance, notre exil ; ne demeurons pas indigents.

11. Ne laissons point entrer dans notre cœur une pensée funeste qui en serait comme le ver rongeur ; ne disons point : Je m’abstiendrai de donner, pour ne manquer pas demain. Ne songe pas tant à l’avenir, ou plutôt songes-y beaucoup, mais songe au dernier avenir. « Qu’ils s’amassent un trésor qui soit un bon appui pour l’avenir, afin d’acquérir la véritable vie ». Cependant il faut suivre cette règle de l’Apôtre : « Qu’il n’y ait pas, dit-il, soulagement pour les autres, et pour vous surcharge, mais égalité[2] ». Possède donc ; garde-toi seulement d’aimer, de conserver, d’amasser, de couver tes trésors enfouis ; ce serait te confier à l’incertitude même. Combien se sont endormis riches pour s’éveiller pauvres ? Il y a donc une pensée mauvaise que l’Apôtre a voulu combattre après avoir dit : « N’aimiez pas l’argent, contentez-vous de ce qui suffit actuellement ». Cette pensée funeste est celle qui fait dire : Si je n’ai pas un trésor, qui me donnera lorsque j’aurai besoin ? Sans doute, j’ai abondamment de quoi vivre, j’ai assez ; mais si on tombe violemment sur moi,

  1. Psa. 122, 27- 28
  2. 2Co. 8, 13