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encore dans les mouvements de leur corps. Ainsi leurs yeux s’ouvrirent pour remarquer et non pour voir ; et sitôt qu’ils sentirent la confusion, ils s’empressèrent de la couvrir. « Ils entrelacèrent des feuilles de figuier et s’en firent des ceintures[1] ». Le mal était dans ce qu’ils couvrirent. De là vient le péché originel ; de là vient que personne ne naît exempt de péché. De là vient que le Seigneur ne voulut pas être conçu comme nous, mais d’une Vierge. Exempt de ce péché, il nous en délivre, car il ne vient pas de ce principe. Voilà pourquoi deux Adams : l’un donne la mort et l’autre donne la vie ; le premier tue et le second ressuscite. Pourquoi le premier tue-t-il ? parce qu’il n’est qu’un homme. Pourquoi le second rend-il la vie ? parce qu’il est un Homme-Dieu.

6. C’est ainsi que l’Apôtre ne fait pas ce qu’il veut. Il voudrait ne sentir pas de convoitise, il en sent ; ce qu’il veut, il ne le fait donc pas. Mais cette convoitise funeste traînait-elle l’Apôtre, comme un esclave, aux fornications et à l’adultère ? Loin de là ; ah ! que de telles pensées ne s’élèvent pas dans notre cœur. Il combattait, mais il ne portait pas le joug ; et s’il disait : « Je ne fais pas ce que je veux », c’est qu’il aurait voulu n’avoir pas à lutter. Je ne veux pas de convoitise et j’en ressens. Ainsi je ne fais pas ce que je veux, et pourtant je ne consens pas aux désirs coupables. Dirait-il : « N’accomplissez pas les désirs de la chair », si lui-même les accomplissait ? » Il t’a donc mis devant les yeux la lutte qu’il soutenait, afin de te préserver de la peur quand tu combats toi-même. Si ce bienheureux Apôtre ne l’avait pas fait, peut-être qu’en voyant, tout en n’y consentant pas, la convoitise s’élever dans tes organes, tu te désespérerais et tu t’écrierais : Ah ! je n’éprouverais pas cela, si j’appartenais à Dieu. Considère l’Apôtre : il combat ; garde-toi du découragement. « Dans mes membres, « dit-il, je vois une autre loi qui combat la loi de mon esprit ». Mais je voudrais qu’elle ne combattît point ; car c’est ma chair, c’est moi, c’est une partie de moi-même. De là vient que je ne fais pas ce que je veux, mais le mal que je hais » ; je ressens la concupiscence.

7. Quel est alors le bien que je fais ? C’est de ne consentir pas à la passion. Je fais le bien, sans l’accomplir ; et sans accomplir le mal aussi, la passion qui me persécute fait le mal. Comment puis-je dire que je fais le bien sans l’accomplir ? Je fais le bien en ne consentant pas à la passion déréglée ; mais je ne l’accomplis pas, puisque je ressens encore la passion. Comment, à son tour, cette passion ennemie fait-elle le mal sans l’accomplir ? Elle fait le mal, puisqu’elle l’excite en moi ; elle ne l’accomplit pas, puisqu’elle ne me le fait pas commettre. Les saints passent toute leur vie dans ces combats. Que penser alors des pécheurs qui ne luttent même pas ? Ce sont des esclaves qu’on entraîne : ou plutôt on ne les entraîne pas, car ils suivent avec plaisir. Les saints donc s’appliquent à ces combats, et jusqu’à son dernier soupir, chacun est exposé dans cette mêlée. Mais à la fin de la vie, au moment où on triomphera après avoir remporté la victoire, que dira-t-on, ou plutôt que dit l’Apôtre en vue de ce triomphe ? Alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort est anéantie dans sa victoire. O mort, « où est ton ardeur guerrière ? » C’est le chant des triomphateurs. « O mort, où est ton aiguillon ? Le péché est l’aiguillon de la mort », puisque sa blessure a causé la mort. Le péché est comme un scorpion, il nous a percés de son dard, et nous sommes morts. Mais quand on s’écriera : « O mort, où est ton aiguillon ? » l’aiguillon qui t’a engendrée et non l’aiguillon que tu as produit ; quand donc on criera : « O mort, où est ton aiguillon ? » il n’y en aura plus, puisqu’il n’y aura plus de péché. « Le péché est l’aiguillon de la mort ». Dieu a donné sa loi pour le combattre ; mais la loi est la force du péché[2] ». Comment la loi la force du péché ? « C’est que la loi est venue pour multiplier le péché ». De quelle manière ? Avant la loi l’homme sans doute était pécheur ; la loi donnée, il la transgressa et devint ainsi prévaricateur. Le péché rendait les hommes coupables ; la prévarication de la loi les rendit plus coupables encore.

8. Où espérer encore, sinon dans ce qui suit : « Où le péché a abondé, a surabondé la grâce[3] ». Aussi considère cet habile soldat, ce soldat pleinement exercé à ce genre de lutte et si expérimenté qu’il est devenu général : au moment où il faisait effort dans la mêlée contre l’ennemi et qu’il disait : « Je

  1. Gen. 3, 1-7
  2. 1Co. 15, 54-56
  3. Rom. 5, 20