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d’autres passions, assistons ici à la guerre que te fait l’une d’elles. Un ivrogne donc vient aussi de recevoir le baptême ; il a appris et appris avec crainte qu’au nombre des vices qui ferment aux pécheurs l’entrée du royaume de Dieu, figure l’ivrognerie. En effet dans le passage où il est dit « que ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les voleurs ne posséderont le royaume de Dieu », il est dit aussi : « Ni les ivrognes[1] ». Il a donc entendu cela avec frayeur. Le voilà baptisé ; tous ses anciens péchés d’ivrognerie lui sont pardonnés : mais il lui reste la mauvaise habitude et il doit après sa régénération lutter contre elle. Tout dans le passé lui est remis : à lui maintenant d’être sur ses gardes, de veiller et de combattre pour ne plus s’enivrer. Mais voici de nouveau le désir de boire, il frappe au cœur, il dessèche le palais, il se fait sentir partout, il veut même, s’il le peut, franchir la muraille sous laquelle le baptisé se tient à l’abri, afin de l’entraîner captif. Il t’attaque, attaque-le à ton tour. Ah ! si seulement il n’était plus ! C’est l’habitude mauvaise qui l’a formé, l’habitude contraire le détruira. Garde-toi de le satisfaire, de lui rien céder pour l’apaiser : résiste plutôt pour l’abattre. Tant qu’il existera, c’est un ennemi pour toi. Si tu ne l’écoutes pas, si jamais tu ne t’enivres, il ira s’affaiblissant chaque jour. C’est en t’y soumettant que tu le fortifies ; oui, si tu cèdes et que tu te laisses aller à l’ivresse, tu lui donnes des forces ; est-ce contre moi et non contre toi ? Pour moi, je crie, j’avertis, j’instruis du haut de ce siège, je préviens les ivrognes des maux qui les menacent. Tu ne pourras pas dire : Je n’ai pas entendu ; tu ne pourras pas dire : À celui qui ne m’as pas averti de rendre compte de mon âme à Dieu. Il est vrai, tu as du mal pour avoir donné de la vigueur à ton ennemi par l’habitude perverse à laquelle tu t’es laissé aller. Pour le nourrir tu n’as point pris de peine : prends-en pour le vaincre ; et si tu n’es pas de taille à lutter contre lui, adresse-toi à Dieu. Si néanmoins il ne triomphe pas de toi, si tout en combattant contre toi l’habitude perverse ne parvient pas à te vaincre, en toi se réalise cette recommandation de l’apôtre Paul : « N’accomplissez point les désirs de la chair ». La convoitise s’est bienfait sentir en toi ; mais en ne buvant pas tu n’as point accompli ses désirs.

5. Ce que j’ai dit de l’ivrognerie s’applique à tous les vices, à toutes les passions. Il en est que nous avons apportées en naissant, la coutume nous en a formé d’autres. C’est à cause des premières qu’on baptise les enfants ; on veut les décharger de la culpabilité transmise par la naissance et non pas contractée par l’habitude perverse, puisqu’ils ne l’ont point. Aussi faut-il combattre toujours, attendu que cette funeste convoitise originelle ne saurait jamais disparaître durant la vie présente : on peut l’affaiblir chaque jour, on ne saurait l’anéantir. C’est elle qui fait nommer notre corps un corps de mort ; c’est d’elle que parle l’Apôtre quand il dit : « Je me complais dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur ; mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres ». Or cette loi s’est produite à la transgression de la loi première. Je me répète : cette loi s’est produite quand on a méprisé et transgressé la loi première. Qu’est-ce que la loi première ? C’est la loi que reçut l’homme dans le paradis. Ce couple n’était-il pas nu, sans en rougir ? Mais pourquoi était-il nu sans en rougir, sinon parce qu’il ne sentait pas encore dans ses organes cette loi qui combat la loi de l’esprit ? L’homme, hélas ! a fait un acte digne de châtiment, et voilà aussitôt des mouvements qui le couvrent de confusion. Ces deux premiers humains violèrent la défense divine en mangeant ; aussitôt leurs yeux s’ouvrirent. Est-ce donc à dire qu’ils erraient auparavant dans le paradis en aveugles ou les yeux fermés ? Nullement. Comment en effet Adam aurait-il pu donner des noms aux oiseaux et aux animaux des champs, lorsqu’ils furent amenés en sa présence[2] ? Comment leur donner des noms, s’il ne les voyait pas ? De plus, il est dit que « la femme regarda l’arbre et qu’à ses yeux il était agréable à voir ». Ils avaient donc les yeux ouverts ; et pourtant ils étaient nus sans en rougir. Si donc leurs yeux s’ouvrirent, c’est qu’ils sentirent quelque chose de nouveau, quelque chose qui ne leur avait pas fait peur

  1. 1Co. 6, 9-10
  2. Gen. 2, 25, 19, 20