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haut par Jésus-Christ ». S’adressant ensuite à ceux qui auraient été tentés de s’estimer parfaits : « Nous tous qui sommes parfaits, dit l’Apôtre, ayons ces sentiments ». Il vient de se dire imparfait ; et maintenant il se dit parfait ! Pourquoi ? N’est-ce point parce que la perfection de l’homme consiste à savoir qu’il n’a pas atteint – la perfection ? Nous tous qui sommes parfaits, ayons ces sentiments. Et si vous en avez d’autres, Dieu vous éclairera également sur ce point ». En d’autres termes : Si vous estimez avoir fait quelque progrès dans la justice, vous découvrirez en lisant les Écritures et en vous faisant une idée exacte de la vraie et parfaite justice, que vous êtes coupables encore ; le désir de l’avenir vous fera condamner le présent ; vous vivrez de foi, d’espérance et de charité ; vous comprendrez que vous êtes loin de voir encore ce que vous croyez, de posséder ce que vous espérez, et d’être parvenus au but suprême de vos désirs. Si l’on peut avoir une charité si vive au milieu des ombres du voyage, quelle charité n’aura-t-on pas dans les splendeurs de la patrie ? On ne saurait donc douter qu’en préconisant la justice de Dieu sans établir la sienne, l’Apôtre n’ait dit comme le Psalmiste : « Exaucez-moi à cause de votre justice ; et n’entrez pas en jugement avec votre serviteur ; car nul homme vivant ne sera justifié en votre présence ».

9. C’est en parlant de cette vie qu’il est dit à Moïse : « Nul n’a vu la face de Dieu sans mourir[1] ». Ainsi nous ne devons pas vivre de cette vie dans l’espérance de voir maintenant cette face divine ; il nous faut plutôt mourir au monde afin de vivre éternellement pour Dieu. Ah ! lorsque nous contemplerons cette face adorable dont les charmes l’emportent infiniment sur toutes les convoitises, nous ne pécherons plus ni par actions ni par désirs. Elle est si douce, mes frères, elle est si belle, que rien ne saurait plaire quand une fois on l’a vue. Nous goûterons alors un rassasiement insatiable, un rassasiement sans dégoût ; toujours rassasiés, nous aurons toujours faim. Vois dans l’Écriture ces deux pensées. « Ceux qui me boivent, dit la Sagesse, auront encore soif, et ceux qui me mangent auront faim encore[2] ». Ne crois pas néanmoins qu’on doive souffrir alors de la faim ou de quelque autre besoin, écoute plutôt le Seigneur : « Quiconque boira de cette eau n’aura point soif de toute l’éternité[3] ». Quand viendra ce bonheur ? t’écries-tu. Quel que soit le moment où il arrive, ne laisse pas d’attendre le Seigneur, d’espérer le Seigneur, d’agir avec courage et d’affermir ton cœur[4]. Nous reste-t-il autant de siècles qu’il s’en est écoulé ? Depuis Adam jusqu’à nos jours, calcule combien se sont montrés qui ne sont plus. Nous n’avons plus, en quelque sorte, que quelques jours ; c’est ainsi qu’il faut parler des ans qui doivent s’écouler encore, si on les compare aux âges évanouis. Excitons-nous donc les uns les autres ; que Celui-là nous excite surtout qui est descendu parmi nous, qui s’est élancé dans la carrière en s’écriant : Suivez-moi ; qui est monté le premier au ciel, afin de pouvoir, du haut de ces régions élevées, secourir sur la terre ses membres dans la peine, et qui s’est écrié du haut de ce trône : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu[5] ? » Que nul donc ne désespère ; ce qui nous est promis finira par nous être accordé, et c’est alors que la justice sera parfaite en nous.

10. L’Évangile vous a fait entendre aussi un enseignement semblable. « C’est la volonté de mon Père, y dit le Sauveur, que de tout ce qu’il m’a donné rien ne se perde, mais que tous possèdent la vie éternelle, et je les ressusciterai au dernier jour[6] ». Il s’est ressuscité au premier jour, il nous ressuscitera au dernier. Le premier jour était pour le chef de l’Église ; car Jésus Notre-Seigneur est pour nous lui-même un jour qui ne connaît pas de soir. Le dernier jour est la fin des siècles. Ne dis pas : Quand viendra-t-il ? Si éloigné qu’il soit pour le genre humain, pour chacun il est proche le dernier jour de chacun étant le jour de la mort. Sitôt en effet que tu quitteras cette terre, tu recevras ce que tu auras mérité, en attendant que tu ressuscites pour recueillir le fruit de tes œuvres. Dieu couronnera alors moins tes mérites que ses dons. Il reconnaîtra, si tu l’as gardé, tout ce qu’il t’avait départi. Ainsi donc, mes frères, n’ayons plus de désir que pour le ciel, n’en ayons plus que pour l’éternelle vie. Gardez-vous de vous plaire à vous-mêmes comme si vous aviez déjà vécu

  1. Exo. 33, 20
  2. Sir. 24, 29
  3. Jn. 4, 13
  4. Psa. 26, 14
  5. Act. 9, 4
  6. Jn. 6, 39