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side en moi, mais en moi je ne trouve pas à accomplir le bien. Et je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres ». Ces mots de combat et de captivité ne désignent-ils pas la guerre ? Ce ne sont donc pas encore les chants de triomphe, mais ils viendront un jour, et c’est ce que nous apprend l’Apôtre en ces termes : « Il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l’immortalité. Alors », voici le chant de triomphe, s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort est abîmée dans sa victoire ». Criez, triomphateurs : « O mort, où est ton ardeur guerrière[1] ? » Ainsi nous prononcerons ces mots, nous les prononcerons un jour, et ce jour n’est pas éloigné, car le monde ne durera plus autant qu’il a duré. Tel sera alors notre langage ; mais aujourd’hui, pendant que nous sommes en guerre, il est à craindre que ce langage mal compris ne soit pour l’ennemi et non pour nous le cri de la trompette et n’excite son ardeur au lieu de préparer sa défaite. Examinez-le donc avec soin, mes frères, et vous qui luttez, luttez toujours. Car pour vous qui ne combattez point, vous ne me comprendrez pas : je ne serai entendu que de ceux d’entre vous qui combattent. Ma voix se fera entendre au-dehors ; une autre voix vous parlera silencieusement au dedans. Rappelez-vous d’abord un passage de l’épître aux Galates qui peut jeter beaucoup de lumière sur celui-ci. L’Apôtre s’adresse aux fidèles à ceux qui ont reçu le baptême et dont par conséquent tous les péchés avaient été effacés dans ce bain salutaire ; mais ils combattaient encore et saint Paul leur dit : « Je vous le déclare : marchez selon l’Esprit et n’accomplissez pas les désirs de la chair ». Il ne dit point : N’éprouvez pas ; mais : « N’accomplissez pas ». Pourquoi « n’accomplissez pas ? » Le voici dans ce qui suit : « Car la chair convoite contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair ; ils sont opposés l’un à l’autre, et vous ne faites pas ce que vous voulez. Que si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus sous la loi[2] » ; non, mais sous la grâce. « Si vous êtes conduits par l’Esprit », qu’est-ce à dire ? Être conduit par l’Esprit, c’est suivre les ordres de l’Esprit de Dieu et non les convoitises de la chair. La chair toutefois continue à convoiter et à résister ; elle veut une chose et tu n’en veux pas ; continue à n’en pas vouloir.

3. Tu dois cependant désirer devant Dieu de ne ressentir pas cette concupiscence à laquelle il te faut résister. Remarquez bien cette pensée. Oui, tu dois désirer devant Dieu de ne ressentir plus cette concupiscence à laquelle tu es obligé de résister. Tu y résistes sans doute, et en n’y consentant pas tu es vainqueur : mieux vaudrait toutefois n’avoir pas d’ennemi que de le vaincre. Un jour tu n’auras plus celui-ci. Rappelle-toi, pour t’en convaincre, ce chant de triomphe : « O mort, où est ton ardeur guerrière ? » Elle n’en aura plus. « O mort, où est ton aiguillon ? » Tu en chercheras la place sans la trouver. Considérez, en effet, considérez avec grand soin que le mal n’est pas en nous une seconde nature, comme le rêve la folie manichéenne. Le mal est une maladie, un défaut de notre nature ; ce n’est point quelque chose qui subsiste à part, car une fois guéri il n’existera nulle part. « N’accomplissez donc pas les désirs de la chair ». Mieux vaudrait sans doute n’en avoir point, comme le recommande la loi[3], car cette absence de convoitise est la suprême vertu, la justice parfaite, la palme de la victoire. Mais puisqu’on ne peut maintenant y arriver, qu’on soit fidèle au moins à cette recommandation de l’Écriture : « Ne suis pas tes convoitises[4] » : il serait préférable de n’en pas avoir, mais comme tu en as, garde-toi d’aller à leur remorque. Elles refusent de te suivre ; ne les suis pas. Si elles voulaient t’obéir, c’en serait fait d’elles, puisqu’elles ne se soulèveraient plus contre ton esprit. Elles se soulèvent, soulève-toi : elles t’attaquent, attaque-les : elles luttent, lutte aussi ; prends garde seulement d’être vaincu par elles.

4. Pour jeter plus de lumière sur ce sujet, je vais faire une supposition. Vous savez qu’il y a des hommes sobres, hier, peu, il est vrai, mais pourtant il en est. Vous savez aussi qu’il y a des ivrognes, trop nombreux, hélas ! Un homme sobre vient de recevoir le baptême ; sous le rapport de l’ivrognerie il n’a point de combat à livrer ; mais il en a sous d’autres

  1. 1Co. 15, 53-55
  2. Gal. 5, 16-18
  3. Rom. 7, 7
  4. Sir. 18, 30