Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/91

Cette page n’a pas encore été corrigée

justes croyaient au même Seigneur Jésus-Christ, non-seulement en tant qu’il est Verbe de Dieu, mais aussi en tant qu’il est homme, « médiateur entre Dieu et les hommes [1]. » Et ils nous ont transmis cette foi par la parole et la prophétie. Ce qui a fait dire à l’Apôtre : « Ayant le même esprit de foi, « comme il est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ; » ayant donc le même esprit qu’ont eu ceux qui ont écrit : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ; – ayant donc le même esprit de foi » qui a fait écrire aux anciens : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé; nous aussi nous croyons, et c’est aussi pourquoi nous parlons[2]. » Ainsi donc quand le prophète David s’écriait « Car si vous aviez voulu un sacrifice je vous l’aurais offert, mais les holocaustes ne vous sont point agréables », on offrait à Dieu ce sacrifice qu’on ne lui présente plus aujourd’hui ; son chant était une prophétie ; il dédaignait le présent et prévoyait l’avenir. « Les holocaustes, dit-il, ne vous sont point agréables. » S’ensuit-il que l’on cessera de vous présenter des sacrifices ? Nullement. « Le sacrifice que Dieu demande est une âme brisée de douleur ; vous ne méprisez point, mon Dieu, un cœur contrit et humilié. » Voilà de quoi offrir. Ne cherche point dans ton troupeau ; ne prépare point des vaisseaux, ne cours pas aux provinces éloignées pour en rapporter des parfums : cherche dans ton cœur ce qui est agréable à Dieu. Il faut briser ton cœur. Craindrais-tu de le faire périr en le brisant ? Mais ne lis-tu pas aussi : « Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu ? » Pour créer ce cœur pur il faut briser l’impur.
4. Déplaisons-nous à nous-mêmes quand nous péchons, parce que nos péchés déplaisent à Dieu. Puisque nous ne sommes point sans péché, ayons au moins avec Dieu cette ressemblance de n’aimer pas ce qu’il déteste. En réprouvant en toi ce qu’y réprouve ton Créateur, tu seras uni de quelque manière à sa volonté. Dieu est l’artiste qui t’a fait ; mais considère-toi attentivement et bannis ce qui ne vient pas de lui. Il est dit dans l’Écriture : « Dieu « a créé l’homme droit[3] ; » et encore : « Que le Dieu d’Israël est bon pour qui a le cœur droit[4]. » Si donc tu as le cœur droit, rien ne te déplaira en Dieu, pour toi il sera bon et tu le béniras. Tu le béniras de tout, de ses bienfaits et de ses châtiments. Avant de dire : « Que le Dieu d’Israël est bon à ceux qui ont le cœur droit ! » cet ancien s’était examiné avec soin. Il n’avait pas toujours eu le cœur droit et il avait trouvé du désordre en Dieu. Ensuite il changea de sentiment et reconnut qu’il n’y avait en Dieu aucun mal, mais que lui-même manquait de droiture. Se rappelant alors ses jours d’égarement et le moment actuel où il en revenait, il s’écria. « Que le Dieu d’Israël est bon ! » Mais pour qui ? « Pour ceux qui ont le cœur droit. » Pourquoi ce langage ? « C’est que les pieds m’ont presque manqué, mes pas ont glissé ; » c’est-à-dire j’ai failli tomber. Pourquoi ? « Parce que je me suis indigné contre les pécheurs en voyant la paix des impies. » En nous disant pourquoi ses pieds ont chancelé et pourquoi ses pas ont glissé, ne nous avertit-il pas de prendre garde nous-mêmes ? Il ignorait que dans l’ancien Testament étaient les figures de l’avenir et il attendait de Dieu la félicité de cette vie, cherchant sur la terre ce que Dieu lui réservait dans le ciel. Ici même il voulait être heureux quoique le bonheur ne soit pas ici. Le bonheur est une grande et belle chose, mais il a sa patrie. Le Christ est venu de cette patrie du bonheur qu’il n’a point trouvé parmi nous. Il a été tourné en dérision, censuré, enchaîné, flagellé, garrotté, indignement conspué, couronné d’épines ; le Seigneur enfin s’est échappé par la mort. Il est écrit dans un psaume (oui, oui, dirent ici ceux qui le savaient) : « Et le Seigneur a fini par mourir [5]. » Quoi ! serviteur, tu cherches ici la félicité, quand ton Seigneur a fini par y mourir ? Cet homme, dont j’ai commencé de parler, cherchait donc le bonheur dans un pays où il est étranger, et pour l’obtenir en cette vie il s’attachait à Dieu, le servait et accomplissait ses commandements selon la mesure de ses forces. Or cette félicité ou ce qu’il croyait la félicité qu’il demandait à Dieu, et pour laquelle il le servait, il la vit à ceux qui ne servaient point Dieu, qui adoraient les démons et blasphémaient le Dieu véritable. Il la vit et se troubla comme s’il avait perdu le fruit de son labeur. Voilà ce qu’il envia aux pécheurs en considérant la paix dont ils jouissaient. Lui-même ne dit-il pas : « Voilà que ces impies, ces heureux du siècle ont multiplié leurs richesses ? Est-ce donc en vain que j’ai purifié mon cœur, ou lavé mes mains dans l’innocence ? J’ai été frappé de votre fouet durant tout le jour. » J’adore Dieu, ils le blasphèment. À eux le bonheur, à moi le malheur, où est la justice ? Voilà ce qui fait chanceler mes pieds, ce qui a presque égaré mes pas, ce qui a failli me faire périr. Voyez en effet quel danger il y a couru :

  1. 1 Tim. 2, 6
  2. 2 Cor. 4, 13
  3. Eccl. 6, 30
  4. Ps. 72, 1
  5. Ps. 73, 21