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pas de moi votre face [1] ; » après lui avoir dit ici : « Détournez votre face de mes péchés. » C’est que l’homme et le pécheur ne formant qu’une personne, l’homme dit : « Ne détournez pas de « moi votre face ; » et le pécheur : « Détournez votre face de mes péchés.. » Ce qui signifie Ne détournez pas votre face de celui que vous avez fait ; détournez-la de ce que j’ai fait. Que votre œil distingue l’un et l’autre, et que le vice ne fasse point périr la nature. Vous avez fait quelque chose : quelque chose aussi j’ai fait. Ce que vous avez fait s’appelle nature ; on donne à ce que j’ai fait le nom de vice. Ah ! guérissez le vice pour sauver la nature !
2. « Je reconnais mon péché », dit encore le pénitent. Si je le reconnais, ne le reconnaissez plus. Vivons saintement, et gardons-nous, en vivant ainsi, de présumer que nous sommes sans péché : si on loue notre vie, ne cessons de demander, grâce. Moins les hommes perdus s’occupent de leurs propres péchés, plus leur curiosité recherche les péchés d’autrui. Ils cherchent non à corriger mais à mordre ; et dans l’impuissance de se justifier ils sont toujours prêts à accuser les autres. Tel n’est point le modèle qui nous est ici proposé pour la prière et pour la pénitence. « Car je reconnais mon iniquité et mon péché est toujours devant moi », est-il dit. Ce Roi repentant ne s’occupait point des péchés d’autrui ; il se recueillait non pour se voir superficiellement, mais pour se pénétrer et descendre au fond de lui-même. Il ne s’épargnait pas ; aussi pouvait-il sans, témérité demander d’être épargné. En effet, mes frères, le péché ne – peut rester impuni, ce serait une injustice : indubitablement donc il sera puni. Il le sera par toi ou par moi, dit le Seigneur ton Dieu : c’est-à-dire que le péché sera châtié ou par le repentir de l’homme ou par le jugement de Dieu : par le coupable s’exemptant ainsi, ou par Dieu, frappant en même temps le coupable. Qu’est-ce en effet que la pénitence, sinon la colère de l’homme contre lui-même ? Se fâcher c’est s’irriter coutre soi : n’est-ce pas pour ce motif qu’on se frappe la poitrine, si toutefois on le fait sincèrement ? Et pourquoi te frapper si tu n’es pas courroucé ? En te frappant la poitrine tu t’indignes donc contre ton propre cœur et tu exiges qu’il fasse réparation à ton Seigneur. On peut entendre aussi de cette manière ces expressions : « Entez en colère et gardez-vous de pécher[2]. » Entre en colère parce que tu as péché, etc.en te punissant ne pèche plus. Ranime ton cœur par le repentir, et ce sera un sacrifice offert à Dieu.
3. Veux-tu te réconcilier avec Dieu ? Examine comment tu dois te traiter afin que Dieu se réconcilie avec toi. Remarque ce qui est dit dans le psaume : « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’aurais offert ; mais les holocaustes ne vous sont point agréables. ». – Seras-tu donc sans sacrifice ? N’auras-tu rien à offrir, ne pourras-tu apaiser Dieu par aucune oblation ? Qu’as-tu dit par ces paroles : « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’aurais offert ; mais les holocaustes ne vous sont point agréables ? » – Continue à lire, écoute et dis avec moi : « Le sacrifice que Dieu demande est une âme brisée de douleur ; Dieu ne méprise point un cœur contrit et humilié [3]. » Après avoir rejeté ce que tu offrais d’abord, tu as trouvé mieux à offrir. Sous nos ancêtres tu offrais des victimes animales et on nommait sacrifices ces offrandes. « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’aurais offert. » Vous ne cherchez donc pas cette sorte de victimes, toutefois vous demandez un sacrifice. Puisque je n’offre plus ce que j’offrais, qu’offrirai-je ? demande votre peuple. Toujours renouvelé par les décès et les naissances, c’est toujours le même peuple. Les sacrements sont changés, la foi ne l’est pas : les signes le sont, ce qu’ils exprimaient ne l’est pas. Le Christ était figuré parle bélier, il l’était par l’agneau, il l’était par le jeune taureau, il l’était parle bouc : le Christ était tout. Il était figuré par le bélier parce qu’il conduit le troupeau. Ce bélier fut rencontré dans les buissons lorsque Abraham reçut l’ordre d’épargner son fils et néanmoins de ne pas quitter la montagne sans avoir offert un sacrifice. Ainsi Isaac figurait le Christ, le bélier le figurait aussi. Isaac porta le bois où il devait se consommer, et le Christ portait la croix où il devait mourir. À Isaac fut substitué un bélier, mais au Christ ne fut pas substitué un autre Christ ; et Isaac fut remplacé par le bélier et par le Christ. Le bélier se trouvait arrêté par les cornes dans un buisson[4]. Demande aux Juifs de quoi ils ont formé la couronne du Seigneur. – Le Christ était aussi figuré par l’agneau : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface les péchés du monde[5]. » ; par le jeune taureau : contemple comme les cornes de la croix ; par le bouc, pour avoir pris la ressemblante d’une chair de péché. Tout cela demeura voilé jusqu’au lever du jour et l’éloignement des ombres[6]. Ainsi les anciens

  1. Ps. 26, 9
  2. Ps. 4, 5
  3. Ps. 50, 5, 11,18, 19
  4. Gen. 20, II
  5. Jn. 1, 29
  6. Cant. 2, 17