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le Christ crucifié. » Les Juifs s’en scandalisent, les Gentils s’en moquent. Aussi est-il « scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils ; mais pour ceux qui sont appelés, soit Juifs, « soit Gentils ; » tels que Paul, autrefois Saul ; tels que Denys l’Aréopagite et ceux qui ressemblent à l’un ou à l’autre, ce Christ « est la Vertu de Dieu et la Sagesse de Dieu [1]. » Te riras-tu encore du rocher ? La croix est la verge mystérieuse, le Christ est la fontaine qui jaillit, et si tu as soif, bois-y la vertu ; enrichis-toi à cette fontaine et de ton cœur pourront jaillir des actions de grâces ; tu ne t’attribueras plus ce que tu auras puisé en elle, mais tu t’écrieras tout transporté : « Je vous aimerai, Seigneur, ô ma vertu[2]. » Tu ne diras plus : C’est ma propre vertu qui me rend heureux ; tu ne seras plus du nombre de ces hommes qui connaissant Dieu « ne l’ont pas glorifié comme Dieu, ni ne lui ont rendu grâces ; mais se sont perdus dans leurs pensées, et dont le cœur insensé a été obscurci ; car en se disant sages ils sont devenus fous[3]. » Que signifie en effet : Se disant sages, sinon disant qu’ils possédaient la sagesse par eux-mêmes et se suffisaient ? « Ils sont devenus fous », et avec justice, car la folie n’est autre chose qu’une fausse sagesse. Tu entreras au contraire dans les rangs de ceux dont il est écrit : « Seigneur, ils marcheront à la lumière de votre visage, ils chanteront votre nom durant tout le jour, ils s’élèveront dans votre justice, car vous êtes la gloire de leur vertu[4]. » Tu recherchais la vertu, dis donc : « O Seigneur, ô ma vertu[5]. » Tu aspirais à la vie bienheureuse, dis aussi : « Heureux l’homme que vous avez instruit, Seigneur », heureux, non pas le peuple qui s’attache au plaisir des sens, ni celui qui s’attribue sa vertu, mais celui « dont le Seigneur est le Dieu[6]. » En lui est la patrie de la béatitude à laquelle tous aspirent et que tous ne cherchent pas où il faut. Pour nous, afin d’y parvenir, ne nous formons pas en quelque sorte un chemin d’après nos idées, n’essayons pas de nous dresser des sentiers trompeurs : car le chemin véritable descend de là jusqu’à nous.
10. Que veut en effet l’homme heureux ? Que veut-il, sinon éviter les déceptions, la mort et la douleur ? Que cherche-t-il encore ? Est-ce à accroître en lui la faim et à manger davantage ? N’est-il pas préférable de ne la plus ressentir ? Il n’y a de bonheur qu’à vivre éternellement exempt de crainte et d’erreur. Car toute âme a l’illusion en horreur, et ce qui prouve jusqu’à quel degré, c’est que les hommes qui ont leur bon sens pleurent les aliénés qui rient. On aime, sans doute, mieux rire que de pleurer ; si l’on demandait à quelqu’un : Veux-tu rire ou pleurer ? Qui ne répondrait : Je veux rire ? Faisons une autre question : Veux-tu être trompé ou connaître la vérité ? Chacun répond : Connaître la vérité. Ainsi ce que l’homme préfère, c’est la joie et la vérité ; du rire ou des pleurs, c’est le rire ; de l’illusion ou de la vérité, c’est la vérité. Mais tel est l’invincible empire de la vérité, que l’homme encore aime mieux pleurer avec sa raison, que de rire avec la folie. Aussi dans cette heureuse patrie règnera la vérité, sans déception et sans erreur aucune. De plus, il n’y aura point de larmes avec la vérité, car on y connaîtra le rire véritable et la joie qu’inspire la vérité, puisque la vie y sera réelle. S’il y avait de la douleur en effet, ce ne serait pas la vie : comment appeler vie un perpétuel et immortel supplice ? Aussi le Seigneur n’appelle pas vie la destinée réservée aux impies, quoiqu’ils doivent vivre sans fin, quoiqu’ils n’atteignent pas la limite de leur existence, pour n’atteindre pas celle de leur supplice ; car « leur ver ne meurt point, ni leur feu ne s’éteint [7] ; » non, il ne l’appelle pas vie, il réserve ce nom à la vie bienheureuse et éternelle[8]. Ce riche donc lui demandait un jour : « Seigneur, quel bien ai-je à faire pour parvenir à l’éternelle vie : » et par éternelle vie il n’entendait que la vie bienheureuse : puisque si la vie des impies doit être éternelle, elle ne sera point heureuse mais remplie de tourments. Il lui disait donc : « Seigneur, quel bien ai-je à faire pour parvenir à l’éternelle vie ? » Observer les commandements, répondit le Seigneur. Je les ai tous accomplis, reprit le riche. Or en lui parlant des commandements comment s’exprime le Sauveur ? « Si tu veux parvenir à la vie[9]. » Il ne dit pas : à la vie bienheureuse, attendu qu’une vie malheureuse ne doit même pas s’appeler vie. Il ne dit pas non plus : A la vie éternelle, car vit-on quand on craint la mort ? Eh bien ! voilà ce que tous veulent, ce que nous voulons tous, la vérité et la vie. Mais par où parvenir à ce vaste domaine, à cette félicité immense ? Les philosophes se sont ouvert des sentiers trompeurs ; les uns disant : C’est par ici, et

  1. 1 Cor. 1, 22, 24
  2. Ps. 16, 2
  3. Rom. 1, 21, 12
  4. Ps. 87, 16-18
  5. Ps. 93, 12
  6. Ps. 143, 15
  7. Is. 66, 84
  8. Mt. 25, 41, 46
  9. Id. 19, 16, 17