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d’autres par l’Esprit-Saint ; le même homme est créé par le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; le Père, le Fils et l’Esprit-Saint ne sont qu’un seul et même Dieu créateur.
11. Si tu vois ici pluralité dans les personnes, reconnais aussi qu’il y a unité dans la divinité. À cause de la pluralité des personnes nous lisons « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. » Dieu ne dit pas : Je vais faire l’homme ; sois attentif afin de pouvoir en faire toi-même un semblable ; mais : « Faisons ; » voilà la pluralité ; « à notre image ; » la pluralité encore. Où donc est l’unité de Dieu ? Poursuis : « Et Dieu fit l’homme [1]. » Après : « Faisons l’homme », il n’est pas dit : Et les dieux firent l’homme ; l’unité se révèle dans ces mots. « Et Dieu fit l’homme. »
12. Qu’est devenue ton interprétation charnelle ? Qu’elle rougisse, qu’elle se cache, qu’elle s’évanouisse : ô Verbe de Dieu, parlez-nous. Nous tous qui avons déjà quelque piété et qui croyons, nous qui avons une foi pénétrante et qui sommes déjà tant soit peu disposés à comprendre, tournons-nous vers le Verbe, le foyer de toute lumière, et disons-lui : Seigneur, votre Père fait les mêmes choses que vous, puisqu’il fait tout par vous. Dès le commencement vous étiez son Verbe : nous ne l’avons pas vu, mais on nous l’a enseigné et nous le croyons. Dans cet enseignement nous avons appris aussi que tout a été fait par vous et de là il suit que tout ce que fait le Père c’est par vous qu’il le fait et que vous faites tout ce qu’il fait. Pourquoi alors avez-vous dit : « Le Fils ne saurait rien faire de lui-même ? » Je vois bien que vous avez avec votre Père une certaine égalité, lorsque j’entends ces mots : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait avec lui ; » oui, je reconnais, je saisis ici une certaine égalité et j’y vois dans la mesure de mes forces la même pensée que dans ces autres expressions : « Mon Père et moi nous sommes un[2]. » Mais pourquoi ne pouvez-vous rien faire que vous ne le voyiez faire à votre Père ? Que voulez-vous dire par là ?
13. Né pourrait-il pas me répondre, ou plutôt nous répondre à tous : Dans ces paroles : « Le Fils ne saurait rien faire qu’il ne le voie faire à son Père », quel sens donnes-tu au mot voir ? Qu’entends-tu par mon regard ? – Oublions un peu la nature de serviteur qu’il a prise pour nous. Considéré dans cette nature, le Seigneur avait, comme nous, des yeux et des oreilles, un corps et des membres comme nous. Sa chair lui venait d’Adam ; mais quelle différence entre lui et Adam ! Et soit qu’il marchât sur terre ou sur mer, car il pouvait tout ce qu’il voulait, tout ce qui lui plaisait, il regardait comme il l’entendait, jetait les yeux et voyait, les détournait et ne voyait plus ; on marchait devant lui et il voyait des yeux du corps, on marchait derrière lui et il n’en voyait pas, quoique rien ne fût caché à sa divinité. Fais abstraction, fais donc un peu abstraction de cette nature de serviteur et considère en lui la nature de Dieu, cette nature qu’il avait avant la création du monde et qui le rendait égal à son Père, ainsi que le dit et que doit te le faire entendre celui de qui viennent ces paroles : « Il avait la nature de Dieu et il n’a point cru usurper en se faisant égal à Dieu [3]. » Considère-le, si tu le peux, dans cette nature, afin de pouvoir comprendre en quoi consiste son regard. « Au commencement était le Verbe. » Comment regarde le Verbe ? A-t-il des yeux ? A-t-il des yeux comme les nôtres ? A-t-il, non pas les yeux du corps, mais les yeux de ces cœurs pieux dont il est dit : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ?[4] »
14. Le Christ est à la fois Dieu et homme ; il te montre aujourd’hui son humanité, il te réserve pour plus tard sa divinité. En voici la preuve. « Celui qui m’aime, dit-il, observe mes commandements : celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et je l’aimerai aussi. » Puis, comme si on lui demandait : Que donnerez-vous à celui qui vous aime ? « Et je me montrerai à lui, poursuit-il. » Que signifie cela, mes frères ? Comment ! ses disciples le voyaient, et il promettait de se montrer à eux ? À qui en effet promettait-il de se montrer ? A ceux qui le voyaient ou à ceux qui ne le voyaient pas ? Rappelons-nous ce qu’il répondit à un de ses Apôtres qui demandait comme suprême bonheur de voir le Père et qui disait expressément : « Montrez-nous votre « Père, et cela nous suffit. » Debout donc, dans sa nature humaine, sous les yeux de cet Apôtre et réservant de lui montrer sa nature divine quand il serait lui-même divinisé : Quoi, répondit-il, « je suis depuis si longtemps avec vous, et vous ne me connaissez pas ! Qui me voit, voit aussi mon Père[5]. » Tu cherches à voir mon Père, regarde-moi : tu me vois sans me voir : tu vois la nature que j’ai prise pour toi, tu ne vois pas celle que je te réserve. Observe mes préceptes, purifie-toi la vue ; car « celui qui m’aime

  1. Gen. 1, 26-27
  2. Jn. 11, 30
  3. Phi. 2, 6
  4. Mat. 5, 6
  5. Jn. 14, 21, 8-9