Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/514

Cette page n’a pas encore été corrigée

veux guérir, descends. Ta religion devrait s’effrayer si nous disions que le Christ incarné est devenu muable. Mais la Vérité même te crie que, considéré comme Verbe, le Christ est immuable. « Au commencement, est-il dit, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ; » ce n’était pas la parole qui fait du bruit et qui passe, car « le Verbe était Dieu[1]. » Ainsi ton Dieu demeure immuable. O piété sincère ! ton Dieu te reste ; ne crains rien, il ne périt pas, il ne te laissera pas périr non plus, il te reste. Il naît d’une femme, mais comme homme, car comme Verbe il a créé sa propre mère : lui qui était avant de naître a donné l’être à celle de qui il a reçu la vie. Il a été enfant, mais selon la chair. Il a pris le sein et il a grandi, il s’est nourri d’aliments solides et a parcouru tous les âges jusqu’à celui d’homme fait ; mais selon la chair. Il s’est fatigué et endormi, mais selon la chair. Il a souffert de la faim et de la soif, mais selon la chair. Il a été saisi, garrotté, flagellé, couvert d’outrages, enfin attaché à la croix et mis à mort, mais selon la chair. Que crains-tu ? « Le Verbe de Dieu demeure éternellement. » Repousser cette humilité d’un Dieu, c’est ne vouloir pas guérir de l’enflure mortelle de l’orgueil.
4. C’est ainsi que dans sa chair Jésus-Christ Notre-Seigneur a rendu l’espérance à la nôtre. Il s’est assujetti à ce que nous connaissions, à ce qui était commun sur cette terre, à naître et à mourir, car la naissance et la mort y étaient le partage de tous. Mais on ne rencontrait ici ni la résurrection ni l’éternelle vie. En échange donc de choses viles et terrestres, il a apporté des richesses précieuses et célestes ; et si tu redoutes sa mort, aime sa résurrection. Dans ta détresse il est venu à ton secours ; car ton salut était sans appui.
Attachons-nous donc, mes frères, et appliquons-nous à ce salut que le monde ne saurait donner et qui est éternel ; vivons ici comme des étrangers : Songeons que nous ne faisons qu’y passer, et nous pécherons moins. Au lieu de nous plaindre rendons plutôt grâces au Seigneur notre Dieu, de ce qu’il a voulu que le dernier jour de la vie fût à la fois rapproché et incertain. Qu’importait à Adam d’avoir vécu jusqu’ici, s’il était mort aujourd’hui ? Peut-on 'appeler long ce qui finit ? Nul ne peut rappeler le jour d’hier, et demain pèse sur aujourd’hui afin de le faire disparaître. Puisque nous sommes ici pour si peu de temps, appliquons-nous à bien vivre, afin d’arriver au lieu d’on nous ne sortirons plus. Maintenant même, pendant que nous parlons, nous marchons. Les paroles se précipitent et les heures s’envolent : ainsi en est il de toute notre vie, de tous nos actes, de nos honneurs, de nos adversités et de nos prospérités présentes. Tout passe ; mais ne craignons pas : « Le Verbe de Dieu demeure éternellement. »
Tournons-nous vers le Seigneur, etc.


SERMON CXXV. MALADE DE TRENTE-HUIT ANS[2].

ANALYSE. – Saint Augustin rappelle qu’il a déjà traité ce sujet. C’est effectivement l’objet du précédent discours. Il est probable toutefois que ce n’est pas à celui-ci que le saint Docteur fait allusion, attendu qu’on n’y trouve pas ce qu’il rappelle avoir dit. Ici en effet il explique bien plus longuement le sens figuré des circonstances qui ont accompagné la guérison du malade de trente-huit ans. – Les cinq portiques où gisaient les malades, représentent les cinq livres de la loi mosaïque, qui faisaient connaître les péchés sans pouvoir guérir les pécheurs. – L’eau dans les saints livres est le symbole du peuple, dont l’émotion s’élève si facilement et le mouvement imprimé à l’eau de la piscine représente le trouble et l’agitation du peuple juif lorsque descendit dans ses rangs l’Ange du grand conseil. On voit ici même que ce qui émut les Juifs c’est ce que le Sauveur dit du sabbat et de son égalité personnelle avec son Père. – Le malade guéri avait trente-huit ans. Le nombre quarante est le chiffre de la perfection : En jeûnant quarante jours, Moïse, Élie et le Sauveur ont voulu nous apprendre que la perfection consiste d’abord à s’abstenir de l’amour déréglé des choses du siècle. L’amour étant comme la main du cœur ne saurait tenir, saisir les biens éternels, s’il est rempli des biens temporels : Mais le malade n’avait pas quarante ans, il lui en manquait deux. C’est qu’il manque aux pécheurs dont il était la figure le double amour, tant recommandé, de Dieu et du prochain. – Ainsi donc, détachons-nous de la terre et attachons-nous à Dieu.


1. En répétant ce qui n’est nouveau ni à votre oreille ni à votre cœur, nous allons ranimer vos sentiments et réveiller des souvenirs qui nous renouvellent en quelque sorte : Ne vous fatiguez pas d’entendre encore ce que vous connaissez déjà, car ce qui vient du Seigneur est toujours plein de douceur.

  1. Jn. 1, 14
  2. Jn. 5