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Le Christ notre Dieu est la patrie où nous aspirons, et le Christ devenu homme est la voie qui nous y mène. Par lui nous allons donc à lui ; que craignons-nous de nous égarer ? Sans quitter son Père il est venu parmi nous. Il prenait le sein de sa mère, et il soutenait le monde. Il était couché dans l’étable, et en même temps la nourriture des Anges ; Dieu et homme tout à la fois, l’humanité est en lui unie à la divinité et la divinité unie à l’humanité. Son humanité toutefois n’a pas le même principe que sa divinité ; il est Dieu, parce qu’il est le Verbe, et homme, parce qu’il est le Verbe fait chair ; mais il est resté Dieu tout en prenant un corps humain, et en devenant ce qu’il n’était pas, il n’a rien perdu de ce qu’il était. C’est pour cela qu’après avoir souffert, qu’après être mort et avoir été enseveli dans son humilité ; il est ressuscité, il est monté au ciel, où maintenant il est assis à la droite de son Père. Ici toutefois il a encore besoin dans la personne de ses pauvres. Hier encore j’ai parlé de ce sujet a votre charité, à propos de ces paroles adressées à Nathanaël : « Tu verras de plus grandes choses. Je vous le déclare, vous verrez le ciel ouvert et les Anges de Dieu montant et descendant vers le Fils de l’homme [1]. » Nous avons cherché à comprendre ce texte, nous nous sommes étendus longuement : faut-il aujourd’hui nous répéter ? Ceux d’entre vous qui étaient hier ici n’ont qu’à réveiller leurs souvenirs. Je vais cependant les rappeler en peu de mots.
4. Il ne dirait pas : « Montant vers le Fils de l’homme », si le Fils de l’homme n’était en haut ; ni : « Descendant vers le Fils de l’homme », s’il n’était aussi en bas. Il est en même temps et en haut et en bas ; en haut, dans sa personne et en bas dans la personne des siens ; en haut, dans le sein de son Père, et en bas parmi nous. De là viennent aussi ces paroles adressées à Saul : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu[2] ? ». Jésus ne dirait pas : « Saut, Saul ; » s’il n’était en haut ; et comme Saut ne le persécutait pas dans le ciel, ces mots : «Pourquoi me persécutes-tu ? » signifient assurément que s’il était au ciel, il était en même temps sur la terre. Craignez donc le Christ au ciel, et sachez le reconnaître sur la terre. Au ciel il donne, il est ici dans le besoin ; au ciel il est riche, et pauvre ici. Pauvre ici, et pour nous disposer à recevoir ses grâces il dit lui-même : « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’ai été nu, j’ai été en prison. » – « Vous ne m’avez pas servi », dira-t-il aux uns. Vous m’avez servi », dira-t-il aux autres[3]. N’y a-t-il point là des preuves de la pauvreté du Christ ? Maintenant, qui ne connaît combien il est riche ? Sans sortir de notre sujet, ne se montrait-il pas riche en changeant l’eau en vin ? Si la possession du vin est une richesse, le pouvoir de le créer n’en est-il pas une plus grande ? Le Christ est ainsi pauvre et riche en même temps. Comme Dieu, il est riche, et comme homme il est pauvre. Comme homme il est riche aussi, mais dans son humanité il est monté au ciel et il y est assis à la droite du Père ; et toutefois il est encore ici pauvre, souffrant de la faim, de la soif, de la nudité.
5. Et toi, qu’es-tu ? Es-tu riche, ou es-tu pauvre ? Beaucoup me disent : Je suis pauvre, et ils disent vrai. Je connais des pauvres qui possèdent et j’en connais qui n’ont rien. Un tel possède abondamment de l’or et de l’argent. Ah s’il sentait combien il est pauvre ! Il le sentira s’il regarde le pauvre qui l’avoisine. Quelle que soit d’ailleurs ton opulence, toi qui es riche, tu n’es qu’un mendiant près de Dieu. Voici l’heure de la prière, c’est là que je t’attends. Tu demandes ; n’es-tu pas pauvre, puisque tu demandes ? J’ajoute : Tu demandes du pain. Ne dis-tu pas effectivement. « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ? »[4]
Demander son pain de chaque jour, est-ce être riche ou est-ce être pauvre ? Et pourtant le Christ ne craint pas de te dire : Donne-moi de ce que je t’ai, donné. Qu’as-tu apporté en venant au monde ? Tout ce que tu as trouvé ici après ta naissance, c’est moi qui l’ai créé ; tu n’as rien apporté ; tu n’emporteras rien. Pourquoi ne me donnes-tu pas de ce que je t’ai donné, puisque tu es dans l’abondance et le pauvre dans la disette ? Considérez l’un et l’autre quelle à été votre origine vous êtes nés tous deux également nus ; toi comme lui. Mais toi, tu as trouvé ici beaucoup ; qu’y as-tu apporté ? Je ne demande que de ce qui vient de moi. Donne et je rends. Je suis ton bienfaiteur, rends-moi ton débiteur, fais-toi mon créancier. Tu me donneras peu, et je te rendrai beaucoup ; pour tes biens terrestres, les biens célestes ; pour tes biens temporels, lesbiens éternels ; je te rendrai enfin toi-même à toi-même, lorsque je te donnerai à moi.

  1. Jn. 1, 50-51 ; ci-dess. serm. CXXIII
  2. Act. 9,4
  3. Mat. 25, 35-45
  4. Id. 6, 11