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il faut qu’aujourd’hui je loge dans ta maison. » Je te vois comme suspendu, mais je ne te tiens pas en suspens ; je ne t’ajourne pas ; tu voulais me voir passer, et aujourd’hui même tu me trouveras en repos chez toi. Le Seigneur entra donc, et tout transporté de joie : « Je donne aux pauvres moitié de mes biens », dit Zachée. Voyez comme il s’empresse de se faire des amis avec les richesses d’iniquité ! Dans la crainte d’avoir encore autre chose à se reprocher : « Si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rends quatre fois autant[1]. » C’était se condamner, pour n’être pas damné. Vous aussi qui avez du bien mal acquis, faites en de bonnes œuvres ; et vous qui n’en avez point, gardez-vous d’en avoir jamais. Mais toi qui fais du bien avec le bien mai acquis, veille à être bon toi-même ; dès que tu te mets à changer le mal en bien, ne reste pas mauvais. Tes deniers s’épurent, et tu demeures souillé !

4. On peut encore donner un autre sens aux paroles du Sauveur ; je ne le tairai point. Les richesses d’iniquité sont toutes les richesses de ce monde, quel qu’en soit d’ailleurs le principe. D’où qu’elles proviennent effectivement, ce sont des richesses d’iniquité. Qu’est-ce à dire des richesses d’iniquité ? C’est de l’argent décoré par l’iniquité du nom de richesses. Ah ! si tu cherches les richesses véritables, cherche-les ailleurs. Job les possédait en abondance, lorsque dépouillé de tout il s’attachait de tout son cœur à Dieu, lorsqu’après avoir tout perdu il comblait Dieu de bénédictions plus précieuses que les plus riches pierreries[2]. – Où les aurait-il puisées, s’il n’avait eu encore un trésor ? C’étaient là les vraies richesses et il n’y a que l’iniquité pour donner ce nom à celles de la terre. Tu as de celles-ci, je ne t’en blâme pas ; tu as hérité, ton père était riche et il t’a laissé sa fortune. Tu as fait de légitimes acquisitions, ta maison est remplie du fruit légitime de tes travaux ; je ne t’en fais pas un crime. Garde-toi néanmoins d’appeler cela richesses. En les appelant ainsi tu t’y affectionneras, et en t’y affectionnant ; tu te perdras avec elles. Perds donc pour ne pas te perdre ; donne pour acquérir ; sème pour moissonner. Ne leur donne pas le nom de richesses ; car elles ne sont pas des richesses véritables ; mais, remplies de pauvreté, toujours elles sont sujettes à mille accidents. Quelles richesses en effet que celles qui te font craindre les larrons et trembler que ton serviteur même ne te mette à mort pour les enlever et s’enfuir ? Ah ! si elles étaient réellement des richesses, elles te donneraient la tranquillité.

5. Les vraies richesses sont donc celles que nous ne saurions perdre, une fois que nous les avons acquises. Tu n’auras pas à redouter pour elles le voleur, car elles seront à l’abri de tout coup de main. Écoute ton Seigneur : « Amassez-vous des trésors dans le ciel, car le voleur ne saurait en approcher [3]. » Ainsi tes richesses ne deviendront richesses que si tu les places ailleurs ; elles ne sont pas des richesses tant qu’elles restent sur la terre. Le monde, il est vrai, l’iniquité les nomme richesses, et c’est pour cela même que Dieu les appelle richesses d’iniquité, mammona iniquitatis. Écoute le psaume : « Délivrez-moi, Seigneur, de la main des fils de l’étranger : leur bouche parle le mensonge ; leur droite est la droite de l’iniquité ; leurs enfants sont comme de jeunes arbres bien affermis sur leurs racines ; leurs filles sont préparées et ornées comme des temples ; leurs celliers sont remplis et regorgent les uns dans les autres ; leurs bœufs sont gras, et leurs brebis fécondes se multiplient en courant ; il n’y a dans leurs murailles ni brèche ni ouverture, ni de clameurs sur leurs places publiques. » Quelle félicité décrite dans ce psaume ! Tu la vois en quelque sorte ; mais remarque bien le caractère des enfants d’iniquité dont il est ici question. « Leur bouche parle la vanité et leur droite est la droite de l’iniquité. » Voilà ceux dont parle l’auteur sacré et il ne montre en eux qu’une félicité terrestre. Qu’ajoute-t-il enfin ? « Ils ont proclamé heureux le peuple qui possède ces choses. Quels sont ceux qui l’ont proclamé heureux ? Les fils de l’étranger, ceux qui ne sont pas de la race d’Abraham : ce sont eux qui ont proclamé heureux le peuple qui possède ces choses. » Que sont-ils ? « Leur bouche parle la vanité. » Il est donc vain de proclamer heureux ceux qui possèdent ces choses. Aussi ce bonheur n’est célébré que par ceux dont la bouche est une bouche de vanité ; ce sont eux qui donnent le nom de richesses à ce qui n’est que richesses de vanité.

6. Et toi, ajouterez-vous, qu’en penses-tu ? Ce sont, dis-tu, les fils de l’étranger, ceux dont la bouche profère le mensonge qui proclament heureux le peuple possesseur de ces biens, mais toi, qu’en penses-tu ? Si ces richesses sont fausses, fais-moi connaître les véritables ; tu méprises ces sortes de bien, montre-moi les biens dignes d’estime.

  1. Luc. 19, 2-9
  2. Job. 1, 21
  3. Mat. 6, 20