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11. Ainsi, mes frères, point de découragement ; tous les royaumes de la terre auront une fin. Est-ce maintenant ? Dieu le sait. Peut-être n’est-ce pas encore ; peut-être aussi est-ce la faiblesse de caractère, la compassion, la misère humaine qui nous font désirer l’éloignement de cette fin s’ensuit-il qu’elle ne viendra jamais ? Fixez votre espoir en Dieu, désirez, attendez les biens éternels. Vous êtes chrétiens, mes frères, nous le sommes. Mais le Christ n’est point descendu pour vivre dans les délices ; supportons le présent plutôt que de nous y attacher ; l’adversité nuit, hélas ! trop manifestement, et la prospérité flatte avec trop de perfidie. Redoute la mer, lors k même qu’elle est calme. Gardons-nous bien d’entendre vainement l’exhortation solennelle d’élever nos cœurs. Pourquoi laisser ce cœur sur la terre, puisque nous la voyons se bouleverser ? Nous ne pouvons que vous exciter à préparer de quoi répondre, pour justifier votre espérance, à ces insulteurs, à ces blasphémateurs du nom chrétien. Qu’aucun murmure ne parvienne à vous détacher de l’attente des biens à venir. Tous ceux qui dans les adversités actuelles outragent notre Christ, ne sont-ils pas comme la queue du scorpion ? Ah ! courons cacher notre œuf mystérieux sous les ailes maternelles de cette poule évangélique qui crie : « Jérusalem, Jérusalem », ceci s’adresse à la Jérusalem perdue de la terre et du mensonge, « combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants ; comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu n’as pas voulu [1] ! » Ah ! qu’elle ne nous dise point : « J’ai voulu et tu n’as pas voulu ! » Cette poule évangélique est en effet la divine. Sagesse qui s’est incarnée pour se mettre à la portée de ses petits. Pour ses poussins que ne fait point une poule ? Voyez ses plumes hérissées, ses ailes pendantes, sa voix fatiguée, affaiblie, amoureuse et languissante. Oui, déposons notre œuf, notre espoir, sous les ailes de cette poule sacrée.
12. Peut-être avez-vous remarqué encore comment la poule tue le scorpion. Plaise donc à Dieu que ces blasphémateurs qui rampent à erre, qui sortent de sombres cavernes et dont l’aiguillon funeste fait de mortelles blessures, soient déchirés et dévorés par cette poule qu’elle se les incorpore et les transforme, en quelque sorte, en œuf ! Ah ! qu’ils ne s’irritent point ; nous paraissons émus, mais nous ne rendons pas malédictions pour malédictions ; nous opposons, au, contraire, les bénédictions aux malédictions, la prière ail blasphème [2]. Qu’on ne dise donc pas, à propos de moi : O si seulement il ne parlait pas de Rome ! Est-ce que je l’insulte ? Est-ce que plutôt je ne prie pas Dieu pour elle, vous y exhortant vous-mêmes comme je puis ? Loin de moi la pensée de l’insulter ! Que Dieu détourne cette idée de mon cœur et de mon esprit, déjà si douloureusement affectés ! N’y avions-nous pas et n’y avons-nous point encore des frères en grand nombre ? N’y a-t-il pas là une portion importante de cette Jérusalem qui voyage sur la terre ? N’y a-t-elle pas enduré des calamités temporelles, mais sans perdre les félicités éternelles ? Que veux-je donc, en parlant de Rome, sinon montrer la fausseté de leurs accusations contre notre Christ, lequel, disent-ils, aurait perdu Rome, soutenue auparavant par des dieux de pierre et de bois ? Pourquoi n’ajouter pas des dieux de monnaie, des dieux d’airain, des dieux même d’argent et d’or ; car « les idoles des nations sont de l’argent et de l’or. » Le prophète ne dit point que ces dieux soient de la pierre, ni du bois, ni de terre cuite, mais ce qu’on estime beaucoup, « de l’argent et de l’or. » Mais tout or et tout argent qu’ils soient, « ils ont des yeux et ne voient pas[3]. » Considérés comme monnaie, les dieux d’or et les dieux de bois sont loin d’être équivalents ; considérés comme ayant des yeux et ne voyant point, ils se valent. Et voilà les gardiens auxquels les doctes ont confié le salut de Rome, des gardiens qui ont des yeux sans voir ! S’ils pouvaient sauver Rome, pourquoi eux-mêmes ont-ils succombé avant elle ? – Rome a succombé avec eux, reprennent-ils. – Ils n’en ont pas moins succombé. – Ce n’est pas eux, poursuivent-ils, mais leurs statues. – Quoi ! ils n’ont pu protéger leurs propres statues et ils auraient pu préserver vos demeures ? Depuis longtemps déjà Alexandrie a perdu ces espèces de divinités ; et Constantinople, depuis qu’un Empereur chrétien en a fait une grande ville, n’a pi us également de faux dieux s’en est-elle moins développée ? Ne prospère-t-elle pas et né subsiste-t-elle pas encore ? Elle subsistera tant qu’il plaira à Dieu, car nous ne prétendons pas ici lui assurer l’immortalité. Aujourd’hui encore Carthage subsiste sous la protection du Christ et depuis longtemps y est

  1. Mat. 23, 37
  2. 2Co. 4, 12, 13
  3. Psa. 113, 4, 5