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un pain, un poisson et un neuf, n’est-ce pas le pain qui vaut mieux ? C’est donc avec raison que nous prenons ici le pain comme symbole de la charité ; et si au pain le Sauveur oppose une pierre, c’est qu’à la charité la dureté est bien contraire. Dans le poisson nous voyons la foi ; et nous aimons à répéter avec un saint personnage qu’un bon poisson est une foi pieuse. Il vit au milieu des flots sans se déchirer et sans se dissoudre. C’est ainsi que vit la foi pieuse au sein des tentations et des tempêtes du siècle ; le monde la persécute, elle demeure intacte. Mais prends garde au serpent, il en est l’ennemi. En effet c’est par la foi qu’a été fiancée cette épouse à qui il est dit, au livre des Cantiques : « Viens du Liban, mon épouse ; viens et du commencement de la foi passe ici [1]. » Ainsi elle est fiancée, parce que la foi est le commencement des fiançailles. De fait, l’Époux alors fait une promesse et on y tient avec foi. Et si le Seigneur oppose le serpent au poisson, le diable à la foi, l’Apôtre ne dit-il pas de son côté à l’épouse mystique : « Je vous ai fiancée à un Époux unique, au Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure ; et je crains que comme le serpent a séduit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est dans le Christ[2] », c’est-à-dire, qui est dans la foi donnée au Christ. « Le Christ, est-il écrit encore, habite par la foi dans vos cœurs[3]. » Ah que le démon ne corrompe point cette foi, que le serpent ne dévore point ce poisson.
7. Reste l’espérance, et l’espérance, me semble-t-il, peut être comparée à l’œuf. L’espérance, en effet, n’est point encore la réalité, comme l’œuf n’est point encore un poulet ; bien qu’il soit quelque chose. Si les mammifères donnent le jour à leurs petits eux-mêmes ; les ovipares ne produisent que ce qui est comme l’espoir de ces petits. Ainsi donc l’espérance nous invite à mépriser les choses présentes et à attendre les biens futurs, à oublier ce qui est derrière pour nous porter avec l’Apôtre ce qui est en avant. « Seulement, dit-il, oubliant ce qui en est arrière et m’avançant vers ce qui est devant, je tends au terme ; à la palme de la céleste vocation de Dieu dans le Christ-Jésus[4]. » D’où il suit que rien n’est si contraire à l’espérance que de regarder derrière, c’est-à-dire que de se confier aux choses qui passent et qui s’en vont, au lieu de compter sur ce qui ne passera jamais, quoiqu’on ne le possède pas encore et qu’on doive seulement l’obtenir un jour. Or, c’est quand des épreuves multipliées tombent sur le monde comme la pluie de soufre tomba sur Sodome, qu’on doit craindre d’imiter la femme de Lot. Elle regarda derrière et resta aussitôt immobile, changée en un monceau de sel, pour inspirer et assaisonner en quelque sorte la prudence [5]. Voici ce que l’Apôtre Paul dit encore de l’espérance : « Car c’est en espérance que nous avons été sauvés. Or l’espérance qui se voit n’est pas de l’espérance ; comment en effet espérer ce qu’on voit ? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons, par la patience[6]. » — « Comment espérer ce qu’on voit ? » On voit l’œuf ; mais l’œuf n’est pas encore un poulet ; et l’on ne voit pas ce poulet, parce qu’il est couvert de la coque de l’œuf. Il faut : l’attendre patiemment et l’échauffer pour l’amener à la vie. Ainsi, applique-toi, porte-toi en avant, oublie ce qui est passé ; car ce qui se voit, passe avec le temps. « Ne considérons point ce qui se voit, dit encore l’Apôtre, mais ce qui ne se voit pas ; puisque ce qui se voit est temporel, tandis que ce qui ne se voit pas est éternel[7]. » Oui, c’est vers ce qui – ne se voit pas que tu dois porter ton espoir ; attends, prends patience, ne regarde point derrière, crains pour ton veuf la queue du scorpion, n’oublie pas que c’est de la queue, que c’est par-derrière qu’il frappe. Non, que le scorpion ne brise pas cet œuf, que le monde ne détruise pas ton espérance par ce poison funeste qu’il t’offre en quelque sorte par-derrière. Que ne dit-il pas, en effet ? quel bruit ire fait-il pas derrière toi pour te porter à tourner la tête, c’est-à-dire à t’appuyer sur les biens présents ? et toutefois peut-on appeler présent ce qui toujours ne fait que passer ? et à perdre de vue, pour reposer tes affections dans ce monde qui s’évanouit, les promesses que t’a faites le Christ et qu’il accomplira sûrement, parce qu’il est fidèle à sa parole ?
8. Et si Dieu mêle tant d’amertumes aux prospérités de la terre, c’est pour nous porter à chercher une autre félicité, une félicité dont la douceur ne soit pas trompeuse. Mais par ces amertumes le monde veut détourner tes regards de ce qui est devant toi et te faire regarder derrière. N’est-ce pas pour cela que tu te plains des adversités et des afflictions ? Depuis l’avènement du Christianisme,

  1. Can. 4, 8
  2. 2Co. 11, 2-3
  3. Eph. 3, 17
  4. Phi. 13,14
  5. Gen. 19, 26
  6. Rom. 8, 24-25
  7. 2Co. 4, 18