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une voix dit à chacun : « Tu as mangé, sors ; continue ta route, fais place à un autre [1]. » Ou bien encore c’est un ami, je ne sais qui, fatigué d’un mauvais chemin, c’est-à-dire d’une vie déréglée ; il ne trouve pas la vérité, dont l’exposition et l’intelligence pourraient le rendre heureux ; épuisé par ses passions autant que par l’ingratitude du siècle, il vient à toi parce que tu es chrétien et il te dit : Rends-moi raison de ta foi, fais-moi chrétien aussi. Mais il te demande peut-être ce que la simplicité de ta foi te permettait d’ignorer, tu n’as pas pour apaiser sa faim et sa demande te découvre ton indigence. Ainsi le besoin de l’instruire te force à apprendre ; et la confusion que tu éprouves devant ces questions auxquelles tu ne saurais répondre, te détermine à chercher à ton tour afin de pouvoir trouver.
3. Et où chercheras-tu ? Où, sinon dans les livres sacrés ? Peut-être en effet que la réponse à ses interrogations s’y trouve quelque part ; mais peu claire. Peut-être que dans quelqu’une de ses Épîtres l’Apôtre a enseigné ce qu’on te demande ; mais si tu peux le lire, tu ne saurais le comprendre. Et pourtant, il t’est impossible de passer outre ; ce questionneur est là qui te presse. D’un autre côté, tu ne saurais t’adresser directement ni à Pierre, ni à Paul, ni à aucun prophète, car toute cette heureuse famille repose avec son Seigneur. Ensuite on est au milieu de la nuit, dans une ignorance profonde, et la faim de ton ami te presse de plus en plus. La simplicité de la foi te suffisait ; elle ne lui suffit pas. Faut-il donc l’abandonner ? Faut-il le chasser de ta maison ? Adresse-toi plutôt à ton Seigneur lui-même, frappe à la porte de cette demeure où il repose avec sa famille, prie, supplie, insiste. Bien différent de cet ami dont il est parlé dans la parabole, qui ne cède qu’à l’importunité ; il se lèvera et te donnera, car il est tout disposé à donner. Tu frappes sans avoir encore, obtenu ; frappe encore, car il veut te donner, et s’il diffère, c’est pour enflammer tes désirs, et pour t’empêcher d’apprécier moins ce que tu aurais obtenu trop tôt.
4. Or, quand tu seras parvenu à obtenir les trois pains, c’est-à-dire à contempler et à connaître l’auguste Trinité, tu auras pour te nourrir et pour nourrir autrui. Tu pourras alors ne pas craindre l’arrivée de ton ami en voyage, mais le traiter comme un membre de ta famille et sans avoir peur de manquer de pain, car ce pain mystérieux ne manque jamais, il met seulement un terme à vos besoins. Compte : un pain et un pain ; c’est Dieu le Père, feu le Fils et Dieu le Saint-Esprit ; le Père éternel, le Fils éternel et le Saint-Esprit coéternel à l’un et à l’autre ; c’est le Père immuable, le Fils immuable, le Saint-Esprit immuable également ; c’est le Créateur, Père, Fils et Saint-Esprit ; le Pasteur suprême et l’auteur de la vie, Père, Fils et Saint-Esprit ; ##Rem le Paire et l’aliment, immortel, Père, Fils et Saint-Esprit. Instruis-toi donc et instruis ; vis et donne à vivre, Si généreux qu’il soit, Dieu n’a rien à te donner de meilleur que lui. O avare ; que voulais-tu autre chose ? Et si réellement tu demandes autre chose, de quoi te contenteras-tu, quand Dieu ne te suffit pas ?
5. Mais afin de pouvoir goûter ce don précieux, tu as besoin de foi, besoin d’espérance, besoin de charité. N’est-ce pas aussi le nombre trois : foi, espérance, charité ? Ces trois vertus son également des dons de Dieu. C’est de lui que nous recevons la foi : « Selon la mesure de la foi, dit l’Apôtre, que Dieu, a départie à chacun de nous [2]. » De toi aussi nous vient l’espérance : « C’est vous qui m’avez donné l’espérance », Seigneur[3]. De lui aussi la charité : « La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné[4]. » Il y a toutefois quelque différence entre ces trois choses qui néanmoins sont toutes des dons divins, Car « maintenant demeurent toutes les trois, la foi, l’espérance et la charité ; et la plus grande des trois est la charité[5]. » Mais il n’est pas dit des pains évangéliques que l’un fût plus grand que les autres ; il est dit simplement qu’on en demanda et qu’on en reçut trois.
6. Voici encore le nombre trois : « Si quelqu’un d’entre vous voit son fils lui demander du pain, lui.donnera-t-il une pierre ? Si c’est un poisson, lui présentera-t-il un serpent ? Et si c’est un cent, lui offrira-t-il un scorpion. Si donc tout mauvais que vous êtes, vous savez donner à vos enfants des choses bonnes ; à combien plus forte raison votre Père qui est aux cieux n’accordera-t-il que ce qui est bon à ceux qui lui en feront la demande ? » Arrêtons-nous à examiner ceci : peut-être découvrirons-nous aussi, toutes les trois, la foi, l’espérance et la charité. La charité l’emporte sur les autres. Si on compare

  1. Sir. 29, 33
  2. Rom. 12, 3
  3. Psa. 118, 49
  4. Rom. 5, 5
  5. 1Co. 13, 13