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a menacés : « Moi aussi je me rirai de votre ruine [1]. » Comment donc s’étonner que les vierges sages tournent les folles en dérision ? Que veut dire cette dérision ?
12. « Adressez-vous à ceux qui en vendent, et « achetez-en pour vous : » car vous ne faisiez ordinairement le bien qu’autant qu’on vous louait, qu’on vous vendait de l’huile, en d’autres termes, qu’on vous vendait des louanges. Et qui vend des louanges sinon les flatteurs ? Ah ! qu’il eût bien mieux valu ne pas vous fier à ces flatteurs, porter l’huile en vous-mêmes, et faire toutes vos bonnes œuvres pour avoir la paix d’une bonne conscience ! Qu’il eût été préférable de dire alors : Le juste me corrigera et me reprendra dans sa miséricorde, mais l’huile du pécheur ne pénétrera point dans ma tête[2]. » Je préfère que le juste m’accuse, que le juste me soufflette, que le juste me corrige, plutôt que de sentir l’huile du pécheur sur ma tête. Et qu’est-ce que cette huile du pécheur, sinon les flatteries de l’adulateur ?
13. « Adressez-vous à ceux qui en vendent : » c’était votre habitude. Quant à nous, nous ne vous en donnerons point. Pourquoi ? « De peur qu’il n’y en ait pas assez pour nous et pour vous. » Pourquoi dire : « Qu’il n’y en ait pas assez ? » Ce n’est pas du désespoir, c’est une juste et pieuse humilité. Si bonne en effet que soit la conscience d’un homme de bien, peut-il savoir comment il est jugé par Celui que ne trompe personne ? Sa conscience est bonne ; le souvenir d’aucun crime ne lui tourmente le cœur ; mais en considérant certaines fautes où il tombe chaque jour en cette vie, et qui pourtant ne troublent pas sa conscience, il ne laisse pas de dire « Pardonnez-nous nos offenses ; » et il parle avec confiance parce qu’il pratique ce qui suit : « Comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés[3]. » C’est de bon cœur qu’il a partagé son pain avec celui qui avait faim, et donné des vêtements à qui n’en avait pas ; l’huile intérieure a alimenté ses bonnes œuvres ; mais en face du grand jugement une bonne conscience ne peut que trembler.
14. Considère bien ce que signifie : « Donnez-nous de l’huile. » On répond : « Adressez-vous plutôt à ceux qui en vendent. » Habituées à faire le bien en vue des louanges humaines, vous ne portez pas d’huile avec vous ; nous n’en donnons pas non plus, « de peur qu’il n’y en ait pas assez pour vous et pour nous. » Nous avons peine à nous rassurer nous-mêmes ; comment pouvons-nous vous rassurer ? Que veut dire : Nous avons peine à nous rassurer nous-mêmes ? C’est qu’au moment où le Roi juste sera assis sur son trône, qui pourra se glorifier d’avoir le cœur pur [4] ? » Peut-être ne découvres-tu aucune tache dans ta conscience ; mais peut-être aussi qu’il s’en découvre aux yeux de Celui dont la vue est plus perçante, dont le regard divin plonge dans les profondeurs extrêmes. Celui-là ne voit-il pas, ne voit-il pas quelque tache en ton âme ? Ah ! qu’il vaut bien mieux lui dire : « N’entrez pas en jugement avec votre serviteur ?[5] ; » ou mieux encore : « Pardonnez-nous nos offenses ; » car en considérant ces flambeaux, ces lampes allumées, il te dit de son côté : J’ai en faim et tu m’as donné à manger[6]. Mais quoi ! les folles n’ont-elles pas fait la même bonne œuvre ? Elles ne l’ont pas faite en vue de lui. Comment donc ? Elles l’ont faite comme le Seigneur a défendu de la faire. « Gardez-vous, a-t-il dit en effet, d’accomplir votre justice devant les hommes dans l’intention d’en être remarqués ; autrement vous ne recevrez point de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux. Ne soyez pas non plus, quand vous priez, semblables aux hypocrites. Car ils « aiment à se tenir debout dans les places publiques et à y prier pour qu’on les observe. En vérité je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense[7]. » Ils ont acheté de l’huile, ils l’ont payée, on ne leur a pas refusé les louanges humaines ; ils les ont cherchées et les ont obtenues. Mais que leur serviront-elles au jour du jugement ? Comment au contraire ont agi les vierges sages ! Comme il est prescrit dans ces paroles : « Que vos bonnes, œuvres luisent devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes actions et qu’ils glorifient votre Père qui est aux cieux[8] ; » votre Père et non pas vous. L’huile en effet ne vient pas de toi. Vante-toi, écrie-toi : J’en ai. Tu en as, mais elle vient de lui. Qu’as-tu que tu ne l’aies reçu[9] ? Telle fut donc la conduite différente et des unes et des autres.
15. Mais quand les insensées vont acheter de l’huile ; lorsqu’elles cherchent, mais en vain, qui les loue et qui les console ; il n’est pas étonnant que la porte s’ouvre, que l’Époux vienne avec l’épouse, c’est-à-dire avec l’Église déjà glorifiée

  1. Pro. 1, 26
  2. Psa. 140, 6
  3. Mat. 6, 12
  4. Pro. 20, 8-9
  5. Psa. 142, 2
  6. Mat. 25, 36
  7. Mat. 6, 1, 6
  8. Id. 5, 18
  9. 1Co. 4, 7