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ce qu’il a fait ; elle vient de sa méchanceté, non de sa nature. Dans lui en effet je vois deux choses : l’homme et l’homme mauvais ; à sa nature il doit d’être homme, et à sa faute, d’être mauvais : or j’efface la faute et je conserve la nature. Le Seigneur ton Dieu ajoute encore : Je vais te venger, je vais mettre à mort ton ennemi ; je le délivre de sa méchanceté et je conserve sa nature. Est-ce qu’en le rendant bon je n’anéantis pas ton ennemi pour en faire ton ami ? Prie ainsi quand tu pries : demande, non pas la destruction de l’homme, mais l’extinction de toute inimitié. Si en effet tu sollicitais la mort de l’homme lui-même, que serait-ce, sinon la prière d’un méchant contre un méchant ; et quand tu dirais : A mort ce méchant, ne répondrait-on, pas : Lequel de vous deux ?
10. Ainsi donc, ne vous contentez pas d’embrasser dans votre affection vos épouses et vos enfants. Ne voit-on pas dans le bétail et dans les passereaux une affection semblable ? Vous savez effectivement comment s’aiment les couples de passereaux et d’hirondelles, comment ils couvent ensemble leurs veufs et nourrissent ensemble leurs petits, combien leur tendresse est gratuite et naturelle, combien ils sont étrangers à toute idée de récompense. Le passereau ne dit pas, je vais élever mes petits, afin qu’à leur tour ils me nourrissent dans ma vieillesse. Il n’a aucune idée pareille ; son amour et ses soins sont désintéressés ; il déploie une affection vraiment paternelle sans avoir en vue aucun salaire. Vous aussi, je le sais, j’en suis sûr, vous avez pour vos enfants une affection semblable ; « puisque les enfants ne doivent point thésauriser pour « les parents, mais les parents pour leurs enfants [1]. » C’est même ce qui dans beaucoup excite l’avarice ; car on se dit qu’on amasse pour ses enfants, qu’on garde pour eux. Étendez, étendez cet amour ; l’affection entre époux et l’affection pour des enfants n’est pas encore la robe nuptiale. Soyez fidèles à Dieu, aimez Dieu avant tout, élevez jusqu’à lui votre amour ; puis entraînez vers lui tous ceux que vous pourrez. Voici ton ennemi ? Entraîne-le jusqu’à Dieu. C’est ton fils, ton épouse, ton serviteur ? Entraîne-les encore. C’est un étranger ? Entraîne-le aussi. Mais entraîne, entraîne surtout ton ennemi ; il ne sera plus ton ennemi si tu l’entraînes. Voilà comment doit progresser, comment doit se nourrir et se perfectionner la charité ; comment on doit se revêtir de la robe nuptiale, comment il faut tailler de nouveau et rendre de plus en plus ressemblante l’image de Dieu formée en nous par la création. Le péché avait terni et flétri cette image ; et comment s’était-elle flétrie et ternie ? En traînant contre terre. Qu’est-ce à dire en traînant contre terre ? En se laissant froisser par les passions terrestres. Car, « bien que l’homme passe comme une image, il se laisse troubler par la vanité [2]. » Or ce n’est pas la vanité, c’est la vérité qu’on recherche dans l’image de Dieu ; puisque c’est en aimant la vérité que cette divine image, à laquelle nous sommes créés, reçoit une nouvelle empreinte, et que nous rendons à notre souverain la monnaie qui lui est due. N’est-ce pas ce que vous avez entendu le Seigneur répondre aux Juifs qui le tentaient ? « Hypocrites, leur dit-il, pourquoi me tentez-vous ? Montrez-moi la monnaie du tribut », c’est-à-dire l’image et l’inscription qui y sont gravées. Montrez-moi ce que vous payez, ce que vous vous préparez à payer, ce qu’on vous demande, montrez-le-moi. Ils lui montrèrent un denier ; et il ajouta : « De qui en sont l’image et l’inscription ? De César, répondirent-ils[3]. » César donc réclame aussi son image ; César ne veut pas laisser périr ce qu’il a ordonné de frapper ; et Dieu voudrait perdre ce qu’il a fait ! Ce n’est pas César, mes frères, qui frappe lui-même sa monnaie ; ce sont des monnayeurs, des artistes et des serviteurs à qui il intime ses ordres ; et ceux-ci y impriment une image, ils y impriment l’image de César. César toutefois réclame ce que d’autres ont fait ; César le met dans son trésor et il n’entend pas qu’on lui refuse ce tribut. L’homme aussi est la monnaie du Christ, et je vois sur cette monnaie l’image, le nom, les bienfaits du Christ et les devoirs qu’il impose.

  1. 2Co. 12, 14
  2. Psa. 38, 7
  3. Mat. 22, 18-21