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foi qui agit par la charité [1]. » Quelle est donc cette foi, quelle est-elle ? Celle « qui agit par la charité. » – Car, « lors même que j’aurais toute la science et toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. » Ayez donc la foi avec l’amour ; car sans la foi vous ne pouvez avoir l’amour. Je vous en préviens, je vous y exhorte, et au nom du Seigneur je vous répète de joindre l’amour à la foi. Vous pouvez en effet posséder la foi sans l’amour, et je ne vous exhorte pas précisément à avoir la foi, mais la charité ; puisque sans la foi vous ne sauriez avoir la charité, la charité même envers Dieu et envers le prochain. Comment en effet concevoir cette charité sans la foi ? Est-il possible d’aimer Dieu si l’on ne croit en lui ? Est-il possible à un insensé de l’aimer quand il dit dans son cœur. « Il n’y a point de Dieu[2] ? » Il peut se faire que tu croies à l’avènement du Christ sans aimer le Christ ; mais il ne t’est pas possible d’aimer le Christ sans reconnaître qu’il est venu.
9. Ainsi donc à la foi joignez la charité ; la charité est la robe nuptiale. Vous qui aimez le Christ, aimez-vous les uns les autres, aimez vos amis, aimez vos ennemis mêmes, et que ce dernier devoir ne vous semble pas trop rigoureux. Est-ce perdre en effet que d’acquérir beaucoup ? Pourquoi tenir tant à demander à Dieu la mort de ton ennemi ? Ce n’est point là le vêtement nuptial. Considère l’Époux lui-même ; il est pour toi suspendu à la croix et pour ses ennemis il prie son Père : « Mon Père, dit-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[3]. » C’est l’Époux même qui tient ce langage. Écoute maintenant un ami de l’Époux, un convive revêtu de la robe nuptiale, le bienheureux Étienne. Aux reproches qu’il adresse aux Juifs on croirait d’abord qu’il est indigné et irrité. « Durs de tête et incirconcis de cœur et d’oreilles, vous avez résisté à l’Esprit-Saint. Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas persécuté ? » Quelles paroles énergiques ! Tu es disposé à les imiter contre le premier venu, et plaise à Dieu que tu les répètes contre quiconque a offensé le Seigneur et non pas contre celui qui t’a offensé ! oui, on offense Dieu et tu ne dis rien ; mais tu cries quand on t’offense : est-ce là la robe nuptiale ? Mais après avoir entendu la sainte indignation d’Étienne, écoute son amour. Il a blessée ses ennemis en leur adressant de justes reproches, et ils le lapident. Or pendant que de toutes parts ces furieux se jettent sur lui, le saisissent et le broient à coup de pierres : « Seigneur Jésus-Christ, s’écrie-t-il d’abord, recevez mon esprit. » Puis, après avoir ainsi prié debout pour lui-même, il s’agenouille et prie pour ceux qui le lapident : «Seigneur, ne leur imputez pas ce péché : » j’accepte la mort du corps, préservez-les de la mort de l’âme ; et en parlant ainsi, il s’endormit [4] ; il n’ajouta rien à ces derniers mots, il les prononça et s’en alla ; sa dernière prière fut pour ses ennemis. Apprenez à porter ainsi la robe nuptiale. Comme lui donc, ploie le genoux, jette-toi le front contre terre, et avant d’approcher de la table sainte, du banquet des Écritures, garde-toi de dire : Ah ! si mon ennemi mourait ! mettez-le à mort, Seigneur, si je puis quelque chose près de vous. Ne craindrais-tu pas, en tenant ce langage ; que le Seigneur ne vînt à te répondre : Si je voulais perdre ton ennemi, ne devrais-je pas te perdre d’abord ? T’applaudis-tu de ce que tu viens d’être invité ? Mais songe à ce que tu étais naguère avant devenir ici. Ne blasphémais-tu pas contre moi ? Ne me tournais-tu pas en dérision ? N’aurais-tu pas voulu effacer mon nom de dessus la terre ? Et tu te glorifies d’être venu sur mon invitation ? Ah ! si je t’avais mis à mort quand tu étais mon ennemi, comment aurais-je pu faire de toi mon ami ? Pourquoi donc, par tes prières exécrables, me porter à faire à autrui ce que je n’ai pas fait contre toi ? Écoute-moi plutôt, dit le Seigneur, je vais t’apprendre à m’imiter. Attaché à la croix, je disais : «Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. » Voilà ce que j’ai appris à mon soldat. Toi aussi apprends à lutter contre le démon : mais tu ne deviendras invincible dans cette guerre qu’en priant pour tes ennemis.J'y consens toutefois, demande aussi, demande la mort de ton ennemi ; mais demande-la avec prudence, demande-la avec discernement. Ton ennemi est un homme ; mais, dis-moi, par où est-il ton ennemi ? La haine qu’il te porte vient-elle de ce qu’il est homme ? Non. – D’où ? – De ce qu’il est mauvais. – Ainsi sa nature d’homme, sa nature que j’ai formée n’est pas ton ennemie. Effectivement, poursuit le Seigneur, je n’ai pas fait l’homme mauvais, il l’est devenu par son insubordination, pour avoir obéi au, diable plutôt qu’à Dieu ; et son inimitié contre toi vient de

  1. Gal. 5, 6
  2. Psa. 13, 1
  3. Luc. 23, 34
  4. Act. 7, 51-59