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puisqu’il n’est pas question de recevoir davantage ? On leur dirait sans aucun doute : Tu refuses le travail ; sans savoir si tu arriveras à la vieillesse ? On t’appelle à la sixième heure, viens. Le Père de famille t’a promis le denier, lors même que tu ne viendrais qu’à la onzième heure ; mais personne ne t’a assuré que tu vivrais une heure encore ; je ne dis pas, que tu vivrais jusqu’à onze heure, mais jusqu’à sept. Et sûr de la récompense mais incertain de la vie, tu remets à plus tard l’invitation qui t’est faite ! Ah ! prends garde de perdre en différant ainsi ce, que t’assure la divine promesse. On peut parler ainsi, soit à la première enfance appelée à la première heure ; soit à la seconde, invitée à la troisième ; soit à la jeunesse, qui a toute la chaleur de la sixième ; à l’extrême vieillesse on peut donc dire avec bien plus de raison encore : Il est onze heures, et tu restes dans l’oisiveté ? et tu hésites de venir ?
9. Le Père de famille ne serait-il pas sorti pour t’inviter ? Mais s’il n’est pas sorti, comment parlons-nous ? Car nous sommes les serviteurs de la maison, et c’est nous qu’il envoie chercher des ouvriers. Pourquoi rester là ? Tu es au terme de tes ans ; hâte-toi de mériter le denier. En effet, le Père de famille sort quand il se fait connaître. N’est-il pas vrai que celui qui reste dans sa demeure n’est pas vu de ceux qui sont dehors ; et que ceux-ci le voient quand il en sort ? Ainsi le Christ semble rester dans son sanctuaire lorsqu’on ne le connaît pas ; mais il le quitte pour louer des ouvriers, lorsqu’on commence à le connaître, puisqu’il passe en quelque sorte du connu à l’inconnu. Or il est connu maintenant, on le prêche partout, et tout sous le ciel publie sa gloire. Il fut pour les Juifs un objet de dérisions et de blâmes ; on le vit, au milieu d’eux, humble et couvert de mépris ; il cachait alors sa majesté et montrait la faiblesse hautaine ; et l’on outrageait ce que l’on voyait, sans connaître ce qu’il tenait dans le mystère. S’ils l’avaient connu, ils n’auraient point crucifié « le Seigneur de la gloire[1]. » Aujourd’hui qu’il trône au ciel, peut-on le dédaigner comme il fut dédaigné quand il était suspendu à une croix ! Ses bourreaux secouaient la tête, et debout devant sa croix, allant à lui comme au fruit qu’y avait attaché leur cruauté barbare, ils lui disaient pour l’outrager : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix. Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même ? Qu’il descende de la croix, et nous croyons en lui[2] ». Il n’en descendait point, parce qu’il restait caché. S’il put sortir vivant du sépulcre, il pouvait bien plus facilement descendre de la croix. Mais pour notre instruction il souffrait avec patience, ajournait l’exercice de sa puissance et il resta méconnu. C’est qu’alors il ne sortait point pour louer des ouvriers, il ne sortait point, ne se manifestait point. Trois jours après, il ressuscita, se montra à ses disciples, monta au ciel, et le cinquantième jour après sa résurrection, le dixième qui suivit son ascension, il envoya l’Esprit-Saint. Dans un seul cénacle se trouvaient réunies cent vingt personnes ; l’Esprit-Saint les remplit toutes[3] ; et comblés de ses dons, ces hommes se mirent à parler les langues de tous les peuples. C’était l’invitation qui se faisait, le Père de famille qui allait chercher des ouvriers. Tous alors commencèrent à connaître la puissance de la vérité. On voyait un seul et même homme parler toutes les langues, et aujourd’hui encore l’unité, qui fait de l’Église comme un seul homme, les parle toutes. En quelle langue ne s’exprime pas la religion chrétienne ? À quelles extrémités du monde n’est-elle point parvenue ? Il n’est plus personne qui se dérobe à la chaleur de ses rayons[4] ; et ce vieillard parvenu à la onzième heure diffère encore !
10. C’est donc une chose évidente, mes frères, et entièrement indubitable, croyez-la, soyez-en bien sûrs : lorsque renonçant à une vie inutile ou profondément, corrompue, un homme se convertit à la foi chrétienne, Jésus-Christ notre Dieu lui remet tous ses anciens péchés, et effaçant en quelque sorte toutes ses dettes, il fait avec lui comme table rase. Tout lui est pardonné, et personne ne doit craindre qu’il reste quoique ce soit sans l’être. Mais aussi personne ne doit se laisser aller à une sécurité funeste. Une espérance téméraire tue l’âme aussi bien que le désespoir. Un mot sur ces deux vices. Comme une saine et légitime espérance contribue au salut, ainsi nous abuse une espérance déréglée. Comprenez d’abord comment on est victime du désespoir. Il est des hommes qui en réfléchissant au mal qu’ils ont fait, estiment le pardon impossible, et en regardant le pardon comme impossible, ils laissent aller leur âme, ils périssent de désespoir et disent en eux-mêmes : Nous n’avons plus d’espérance ; il est impossible qu’on nous remette ou qu’on nous pardonne tant de péchés commis

  1. 1Co. 2, 3
  2. Mat. 27, 39-42
  3. Act. 1, 15
  4. Psa. 18, 7