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m’a envoyé vers vous, et tel est mon nom pour l’éternité [1]. » Entendez sur ces mystères ce que le Seigneur me communique. Ils sont grands, ils recèlent en quelque sorte de divins secrets, et si nous entreprenions de les développer comme il convient, nous n’en aurions ni le temps ni la force.
2. Ce que nous pouvons observer d’abord, c’est que si la flamme est dans le buisson sans le réduire en cendres, ce n’est pas en vain, ce n’est pas inutilement, ce n’est point sans indiquer une vérité cachée. Le buisson est une espèce d’épines ; mais produite pour punir l’homme de son péché, l’épine ne saurait être employée comme symbole de bonheur ; car ce fut seulement après la faute première qu’il fut dit : « La terre portera pour toi des épines et des chardons[2]. » Ce buisson qui ne brûle point, c’est-à-dire que la flamme ne saurait pénétrer, n’est pas – non plus un heureux indice. La flamme sans doute est de bon augure, puisque c’est un Ange ou le Seigneur même qui s’y montre ; puisqu’au moment où le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres, ils virent des langues divisées comme des langues de feu. Il faudrait donc que ce feu nous pénétrât et que notre dureté ne l’empêchât point de nous enflammer. Mais ce buisson qui ne brûlait point, désignait le peuple qui résistait à Dieu et par conséquent le peuple coupable des Juifs à qui Moïse était envoyé. Si ce buisson résistait au feu, c’est que ce peuple, comme je l’ai dit, se révoltait contre la loi divine, et si ce peuple n’avait les épines pour symbole il n’en aurait point fait une couronne au Christ[3].
3. Le personnage qui s’adressait à Moïse s’appelle en même temps le Seigneur et l’Ange du Seigneur. Lequel des deux est-il ? C’est.unegrande question. On ne doit pas se prononcer avec témérité, mais examiner avec soin. Or deux opinions peuvent s’élever sur ce point et quelle que soit la vraie chacune est orthodoxe. Quelle que soit la vraie, c’est-à-dire quelle qu’ait été la pensée de l’écrivain sacré ; car s’il nous arrive, en étudiant l’Écriture, de penser autrement que l’auteur, nous devons prendre garde de nous écarter de la règle de la foi, de la règle de la vérité. Je vais donc vous exposer ces deux opinions, sans nier qu’il y en ait une troisième que j’ignore, et vous choisirez celle que vous voudrez. Selon les uns ce personnage s’appelle le Seigneur et l’Ange du Seigneur, parce que c’était le Christ, nommé expressément par un prophète l’Ange du grand conseil[4]. Le mot Ange désigne l’office et non la nature, car en grec il signifie messager ; or ce terme de messager indique un être qui agit, qui annonce. Mais le Christ ne nous a-t-il point annoncé le royaume des cieux ? De plus, l’Ange ou le messager est envoyé par qui le charge d’annoncer quelque chose. Le Christ n’a-t-il pas été envoyé ? Ne dit-il pas souvent : « Je suis venu accomplir non pas ma volonté, mais la volonté de qui m’a envoyé[5] ? » Il est l’envoyé par excellence ; il est cette piscine mystérieuse de Siloë qui signifie envoyé. Aussi est-ce là qu’après avoir couvert de boue les yeux de l’aveugle-né, il lui commanda de se lever[6]. Nul en effet ne recouvre la vue s’il n’est purifié par le Christ. Ainsi l’Ange de Moïse peut être le Seigneur.
4. Mais voici un écueil à éviter. Il y a des hérétiques qui soutiennent qu’il y a des différences entre la nature du Père et la nature du Fils, et qu’ils n’ont pas une seule et même substance. La foi catholique croit au contraire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul. Dieu, trois personnes en une même essence, inséparables, égales, sans mélange ni confusion, sans division ni séparation. Or pour prouver que le Fils n’a point la même nature que le Père, ils s’appuient sur ce que le Fils a apparu aux anciens. Mais le Père, disent-ils, ne leur a point apparu ; or une nature visible est différente d’une nature invisible. Aussi, poursuivent-ils, est-il dit du Père que « nul homme ne l’a vu ni ne peut le voir[7]. » Ils veulent conclure ainsi que celui qui s’est montré à Moïse et à Abraham, à Adam et aux autres patriarches, n’est pas Dieu le Père, mais plutôt le Fils et qu’il est une créature. Tel n’est point le langage de l’Église Catholique. Que dit-elle ? Le Père est Dieu, le Fils est Dieu ; le Père est immuable et le Fils immuable ; le Père est éternel, le Fils également éternel ; le Père est invisible et le Fils invisible : dire que le Père est invisible mais le Fils visible, ce serait distinguer, séparer même les natures. Comment trouver la grâce quand on perd la foi ? Voici donc comment se résout cette question. Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, est invisible dans sa propre nature. Il s’est montré quand il a voulu et à qui il a voulu, non tel qu’il est, mais comme il a voulu, car tout est à ses ordres.

  1. Exo. 3, 14
  2. Gen. 3, 18
  3. Mt. 27, 29
  4. Is. 9, 6
  5. Jn. 6, 38
  6. Ibid, 9, 7
  7. 1 Tim. 6, 16