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par mon Seigneur ? Il fixe à septante-sept fins la limite du pardon, et j’oserai, moi, franchir cette limite ? – Non, et je ne demande pas plus que lui. Je lui ai entendu dire, par l’organe de son Apôtre, et sans déterminer ni limite ni mesure : « Vous pardonnant les torts que l’un pourrait avoir envers l’autre, comme Dieu vous a pardonné par le Christ[1]. » Voilà le modèle. Si le Christ ne t’a pardonné que septante-sept péchés, n’outrepassant pas cette limite, adopte-la aussi et ne pardonne pas davantage. Mais si le Christ a trouvé en toi des milliers de péchés et les a pardonnés tous ; ne cesse pas de faire miséricorde et cherche à égaler ce nombre de pardons. Ce n’est pas sans motif qu’il a dit : « Septante-sept fois », puisqu’il n’est absolument aucune faute qu’osa ne doive pardonner. Ce serviteur qui était à la fois débiteur et créancier, redevait dix mille talents. Or dix mille talents me semblent figurer pour le moins dix mille péchés ; car je ne veux pas dire qu’un talent comprenne toutes les sortes de fautes. Et combien lui redevait – on ? Cent deniers. Cent n’est-il pas plus que septante-sept ? Le Seigneur néanmoins s’irrita qu’il n’eût pas remis cette dette. C’est qu’il ne faut pas s’arrêter à voir que cent font plus que septante-sept ; cent deniers représentent peut-être mille sous. Mais qu’est-ce que cette somme devant dix mille talents ?
4. Nous devons par conséquent être disposés à pardonner toutes les fautes qui se commettent contre nous, si nous voulons qu’on nous pardonne les nôtres. En considérant nos péchés et en comptant tous ceux que nous avons faits par action, par regard, par l’ouïe, par la pensée et par des mouvements sans nombre, je ne sais si avant de nous endormir nous ne nous trouverons pas chargés d’un talent tout entier. Aussi nous supplions chaque jour, chaque jour nous frappons de nos prières les oreilles divines, clous nous prosternons et nous disons chaque jour.« Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés[2]. » Quelles offenses ? Toutes, ou une partie? – Toutes, répondras-tu. Donc aussi pardonne tout à qui t’a offensé. Telle est la règle, telle est la condition que tu établis ; voilà le pacte, voilà le contrat que tu rappelles lorsque tu dis dans ta prière : « Pardonnez-nous, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
5. Que signifie alors te nombre de soixante-sept ? Prêtez l’oreille, mes frères, voici un mystère profond, un secret admirable. C’est au moment où le Seigneur a reçu le baptême que l’Évangéliste saint Luc, montre la succession, la série, l’arbre des générations qui conduisent jusqu’à la naissance du Christ[3]. Saint Mathieu commence à Abraham et vient en descendant jusqu’à Joseph[4]. Saint Luc, au contraire, fait son énumération en montant. Pourquoi l’un descend-il, tandis que l’autre remonte ? C’est que Saint Matthieu appelait l’attention sur cette naissance qui fit descendre le Christ jusqu’à nous ; aussi est-ce à la naissance du Christ qu’il commence sa généalogie descendante. Mais Saint Luc commence au moment du baptême du Christ, baptême qui commence à nous relever ; c’est pourquoi sa généalogie est ascendante. On y compte soixante-sept générations. Par où commence-t-il ? Remarquez, il commence par le Christ et remonte jusqu’à Adam, jusqu’à Adam qui a péché le premier, et nous a engendrés dam le péché. Il va donc jusqu’à Adam et énumère septante-sept générations. Ainsi du Christ à Adam et d’Adam au Christ, voilà nos septante-sept générations. Si donc il n’y en a aucune d’omise, nous ne devons laisser aucune faute non plus sans la pardonner. C’est pour ce motif qu’on trouve dans ces générations le nombre même que le Seigneur a consacré à propos du pardon des fautes ; pour ce motif encore la généalogie se fait au moment du baptême, qui efface tous les péchés.
6. Ici encore, mes frères, admirez quelque chose de plus merveilleux. Le nombre de septante-sept, avons-nous dit, figure la rémission des péchés, et on le rencontre dans les générations qui remontent du Christ à Adam. Maintenant, examine avec un peu plus d’attention encore les mystères de ce nombre, sondes-en les profondeurs ; frappe plus vivement pour te les faire ouvrir. La justice consiste dans la loi de Dieu, c’est incontestable, et cette loi est comprise dans dix préceptes. Voilà pourquoi le nombre de dix dans les dix mille talents que redevait le premier serviteur, comme dans ce décalogue mémorable qui fut écrit par le doigt de Dieu et donné au peuple par le ministère de Moïse, le serviteur fidèle. Les dix mille talents qui étaient dus, figurent donc tous les péchés commis contre les dix commandements.

  1. Col. 3, 13
  2. Mat. 6, 12
  3. Luc. 3, 21-38
  4. Mat. 1, 1-16