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la main de l’homme en démolissant ôtait pierre de dessus pierre. Ce qu’un homme a fait, un autre l’a détruit. Est-ce d’ailleurs un outrage pour Rome de dire qu’elle tombe ? Ce n’en est pas un pour Rome, c’en serait un, tout au plus, pour son fondateur. Or faisons-nous injure à son fondateur même quand nous disons : Rome tombe, Rome l’œuvre de Romulus ? Mais le monde créé par Dieu doit être réduit en cendres. Mais les œuvres de l’homme ne succombent que quand il plaît à Dieu, et l’œuvre de Dieu ne se détruit également que quand il lui plaît. Or si les œuvres humaines ne tombent point sans la volonté divine, comment la volonté humaine pourrait-elle suffire à anéantir les œuvres de Dieu ? N’est-il pas vrai encore que Dieu n’a fait pour toi qu’un monde périssable et que tu es toi-même destiné à la mort ? Oui, l’homme qui fait l’ornement de là cité, qui habite la cité, qui la régit et qui la gouverne, n’est venu que pour s’en aller, il est né pour mourir, il est entré pour sortir. Le ciel et la terre passeront ; est-il alors étonnant qu’une ville cesse d’exister ? Si d’ailleurs elle ne cesse pas aujourd’hui, elle cessera sûrement un jour. Mais pourquoi cette ruine de Rome pendant que les chrétiens offrent leurs sacrifices ? Pourquoi aussi l’embrasement de Troie, sa mère, pendant que les païens offraient les leurs ? Les dieux qui ont la confiance des Romains, les dieux qui sont réellement les dieux romains et en qui les païens de Rome ont placé leurs espérances, ces dieux ont quitté les cendres de Troie pour venir fonder Rome. Ces dieux de Rome étaient primitivement les dieux de Troie. Troie fut brûlée ; Enée en emporta ses dieux fugitifs, ou plutôt il emporta dans sa fuite ses dieux insensibles. Il pouvait les porter, mais eux n’auraient pu fuir. Et abordant avec eux en Italie, il établit Rome avec ces faux dieux. Il serait trop long d’entrer dans tous ces détails ; je rapporterai seulement en peu de mots ce que disent des auteurs Romains. L’un d’eux connu de tout le monde, s’exprime ainsi : « La ville de Rome fut fondée et occupée d’abord, comme je l’ai appris, par des Troyens qui fuyaient sous la conduite d’Enée, et s’en allaient de pays en pays sans pouvoir se fixer [1]. » Ces Troyens donc avaient avec eux leurs dieux ; ils bâtirent Rome dans le Latium et y proposèrent à la vénération les mêmes dieux qu’adorait Troie. Un poète romain introduit encore sur la scène Junon irritée contre Enée et ses Troyens fugitifs. « Une nation que j’abhorre, dit-elle, fait voile sur la mer de Toscane, portant en Italie Ilion et ses pénates vaincus[2] ; » c’est-à-dire ses dieux vaincus. Or quand ces dieux vaincus entraient en Italie, était-ce un triomphe ou un présage ? Aimez donc la loi de Dieu et que pour vous il n’y ait pas de scandale. Nous vous en prions, nous vous en conjurons, nous vous y exhortons, soyez compatissants pour ceux qui souffrent, accueillez les malheureux ; et maintenant ; qu’on voit tant d’étrangers, tant de pauvres, tant de malades, donnez largement l’hospitalité, multipliez vos bonnes œuvres. Que les chrétiens fassent ce que commande le Christ et les – païens en blasphémant ne nuiront qu’à eux-mêmes.


SERMON LXXXII. CORRECTION FRATERNELLE[3].

ANALYSE. – Trois idées principales dans ce discours. Premièrement saint Augustin établit que nous sommes obligés de reprendre le prochain des fautes que, nous voyons, et de l’en reprendre pour l’amour de lui, et non par haine ni pour l’amour de nous. Il établit en second lieu que cette réprimande doit être secrète quand la faute est secrète, et publique si la faute est publique. Troisièmement, pratiquant lui-même le devoir de la correction fraternelle, il montre la gravité du péché de la chair, insiste sur la nécessité de se corriger au plus tôt et termine en disant qu’un pasteur n’est heureux que des progrès que font ses ouailles dans la vertu. l. Notre-Seigneur nous interdit l’insouciance sur nos fautes réciproques ; il veut que sans chercher matière à censure nous reprenions ce dont nous sommes témoins. On est, selon lui, propre à écarter l’herbe de l’œil de son frère, quand on n’a pas une poutre dans le sien. Qu’est-ce à dire ? Je vais l’expliquer en, peu de mots à votre

  1. Sallust. Guerre de Catil. chap. 4
  2. Virg. En. liv. 1. vers 67, 68
  3. Jn. 10, 1-16