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avec vous j’en suis capable. Il reconnaît donc ce qu’il peut par Celui dont il croit la volonté suffisante pour le rendre capable de faire ce que ne saurait aucune faiblesse humaine. Oui, « si c’est vous, ordonnez », car votre commandement s’accomplira. Ce que je ne puis malgré ma présomption, vous le pouvez avec une parole. « Viens », reprit alors le Seigneur. Et sans aucune hésitation, animé parla voix du commandement, par la présence de Celui dont la puissance le soutient et le dirige, il se jette incontinent au milieu des eaux et commence à marcher. Il peut ainsi, non par lui, mais parle Seigneur, ce que peut le Seigneur même. « Vous étiez ténèbres autrefois, vous êtes maintenant lumière », mais « parle Seigneur[1]. » Ce que nul ne peut ni par Paul ni par Pierre ni par aucun des Apôtres, on le peut par le Seigneur. De là ces belles paroles d’heureux mépris pour soi et de gloire pour le Seigneur « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? Ou est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? » Donc vous n’êtes pas sur moi ni sous moi, mais sous le Christ avec moi.
6. Ainsi Pierre a marché sur les eaux à la voix du Seigneur, et sachant bien que ce pouvoir ne venait pas de lui-même. La foi l’a rendu capable de ce que ne peut la faiblesse humaine. Tels sont les forts de l’Église. Soyez attentifs, écoutez, comprenez, pratiquez. Jamais il ne faut traiter avec les forts pour les rendre faibles, mais avec les faibles pour les rendre forts. Ce qui empêche un grand nombre de devenir forts, c’est la confiance qu’ils le sont. Car Dieu ne rendra fort que celui qui se sent faible. « O Dieu ! vous réservez à votre héritage une pluie toute gratuite. » Pourquoi me devancer, vous qui connaissez ce qui suit ? Modérez votre ardeur, afin que les moins vifs puissent nous suivre. Voici donc ce que j’ai dit et ce que je répète : écoutez, saisissez, pratiquez. Dieu ne rend fort que celui qui se sent faible. « Vous réservez, comme s’exprime le Psaume, une pluie toute volontaire », une pluie due à votre bonne volonté et non à nos mérites. Cette « pluie volontaire, vous la réservez, ô Dieu ! à votre héritage ; car cet héritage s’est senti en défaillance et vous lui avez rendu une complète vigueur[2] ; » en lui réservant une pluie volontaire, sans égard à ce que méritaient les hommes, et ne considérant que votre bonté et votre miséricorde. Cet héritage est tombé en défaillance, et pour se fortifier par vous, if s’est reconnu faible en lui-même. Il ne se fortifierait point, s’il ne s’affaiblissait pour se fortifier en vous et par vous.
7. Considère une portion bien mince de cet héritage, considère Paul, mais Paul dans sa faiblesse. Il a dit : « Je ne suis pas digne du nom d’Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu. » Comment donc es-tu Apôtre ? « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. « — Je ne suis pas digne », mais « c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. » Paul est faible, mais vous, Seigneur, l’avez fortifié. Maintenant, que par la grâce Dieu il est ce qu’il est, écoutons ce qu’il ajoute : « Et la grâce de Dieu n’a pas été stérile en moi, car j’ai travaillé plus qu’eux tous. » Prends-garde de perdre par ta présomption ce que tu as mérité par ton humilité. C’est bien, très-bien d’avoir dit : « Je ne suis pas digne du nom d’Apôtre ; c’est par sa grâce que je suis ce que je suis ; et sa grâce n’a pas été stérile en moi : » tout cela est irréprochable. Mais en ajoutant : « J’ai travaillé plus qu’eux tous », ne commences-tu pas à revendiquer pour toi ce que tu viens d’attribuer à Dieu ? Néanmoins poursuivons. « Ce n’est pas moi, dit-il, c’est la grâce de Dieu avec moi [3]. » C’est bien, homme faible ; Dieu t’élèvera et te fortifiera, puisque tu n’es pas ingrat envers lui. Tu es vraiment ce petit Paul, petit en soi, mais grand dans le Seigneur. C’est bien toi qui à trois reprises as demandé au Seigneur d’éloigner de toi l’aiguillon de la chair, l’ange de Satan qui te souffletait. Que t’a-t-il été répondu ? Qu’a-t-il été répondu à cette prière ? « Ma grâce te suffit, car la vertu se fortifie dans la faiblesse[4]. » Il a donc reconnu sa faiblesse ; mais vous l’avez rendu fort.
8. Ainsi en est-il de Pierre. « Ordonnez-moi, dit-il, d’aller à vous sur les eaux. » Je ne suis qu’un homme pour cette entreprise hardie, mais j’implore Celui qui est plus qu’un homme. Commandez, ô Dieu-homme, et un homme pourra ce qu’il ne peut. « Viens », reprend le Seigneur ; et Pierre descendit, il commença à marcher sur les eaux et à pouvoir ce que lui avait ordonné la pierre. Voilà ce que peut Pierre par le Seigneur mais par lui-même ? « Voyant la violence du vent, il eut peur ; et comme il commençait à enfoncer, il s’écria : Je suis perdu Seigneur, sauvez-moi. » Sa confiance en Dieu l’avait rendu puissant ; il tremble dans sa faiblesse humaine et recourt de nouveau au Seigneur. « Si je

  1. Eph. 5, 8
  2. Psa. 67, 10
  3. 1Co. 15, 9-10
  4. 2Co. 12, 7-9