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Seigneur viendra se montrer à nous comme il se montre à ses Anges. Nous voyons maintenant dans un miroir et en énigme, mais alors ce sera face à face[1]. Ainsi retenons bien, mes frères, le sens de cette parole : « Laisse-moi, car voici le jour. » Mais que répond Jacob ? « Je ne te laisserai point que tu ne m’aies béni. » C’est que le Seigneur nous bénit d’abord dans sa chair. Les fidèles connaissent ce qu’ils reçoivent ; ils savent comment ils sont bénis par la chair du Sauveur, et qu’ils ne le seraient point, si cette chair crucifiée ne se donnait pour le salut du monde. Comment Jacob obtient-il la bénédiction ? En prévalant contre Dieu, en l’étreignant fortement et toujours, sans laisser échapper de ses mains ce qu’Adam laissa tomber des siennes. Nous aussi, mes frères, tenons ce que nous avons reçu, pour mériter d’être bénis.
8. Le membre paralysé de Jacob représente les mauvais Chrétiens ; le même homme est à la fois béni et boiteux ; béni pour figurer ceux qui vivent bien, boiteux pour désigner ceux qui vivent mal. Aujourd’hui encore le même homme est béni et boiteux ; la séparation et le discernement viendront ensuite, comme l’Église en exprime le vœu dans ce Psaume : « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle du peuple impie[2]. » N’est-ce point ce qu’enseigne l’Évangile : « Si ton pied te scandalise, y est-il dit, coupe-le et le jette loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer avec un pied dans le royaume de Dieu, que d’aller avec deux pieds dans le feu éternel[3]. » Les méchants doivent donc être retranchés à la fin. L’Église est aujourd’hui boiteuse ; elle avance résolument un pied, l’autre est malade. Mes frères, voyez les païens. Tantôt ils rencontrent de bons Chrétiens, de vrais serviteurs de Dieu ; ils les admirent, sont attirés à la foi et ils l’embrassent. Tantôt ils en remarquent dont la vie est mauvaise et ils disent : Voilà les Chrétiens ! Ces mauvais Chrétiens sont le membre touché et paralysé de Jacob. Or quand le Seigneur touche de sa main, c’est pour corriger et rendre la vie. Être touché par lui, c’est donc être béni d’un côté et blessé de l’autre. Le Seigneur parle de ces Chrétiens indignes dans l’Église ; c’est pour eux qu’il est écrit dans l’Évangile : « L’herbe ayant crû, alors apparut l’ivraie ; » car lorsque l’on commence à faire des progrès dans le bien, on commence à sentir la présence des méchants. Vous savez cela, la grâce de Dieu vous l’a fait connaître. Mais pour le moment et jusqu’au terme de la moisson il faut tolérer l’ivraie ; car on pourrait, en l’arrachant, arracher le blé [4]. Viendra donc le moment où après avoir dit : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle du peuple impie, » l’Église sera exaucée. Alors en effet « le Seigneur viendra dans sa gloire avec ses saints Anges ; et toutes les nations seront assemblées devant lui, et il les séparera comme le pasteur sépare les brebis d’avec les boucs ; les justes seront placés à la droite, et les boucs à la gauche. » Aux uns il dira : « Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume ; » et aux autres : « Allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges[5]. »

  1. 1 Cor. 13, 12
  2. Ps. 42, 1
  3. Mt. 18, 8
  4. Id. 13, 26 ; 29-30
  5. Id. 25, 31-41