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et vous savez comme dernièrement ils ont été réprimés. Aujourd’hui donc se vérifie : « L’aîné servira le plus jeune. » Mais cette autre bénédiction : « Tu recevras de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, » ne prouve-t-elle pas que l’aîné a été béni comme le plus jeune ? Néanmoins à l’aîné il a été dit : « Tu seras le serviteur de ton frère ; et viendra l’époque où tu secoueras son joug de ton cou. » Combien en effet ont secoué ce joug et sont devenus nos frères ! Combien de Juifs sont venus à la foi ! Ne l’oubliez pas. Maintenant encore, si tu annonces Jésus-Christ Notre-Seigneur à un Juif que tu rencontres et qu’il croie, ne secoue-t-il pas le joug de son cou ? Et combien de milliers parmi eux ne l’ont pas secoué dans les premiers temps du Christianisme ? Tous ceux qui ont cru alors, comme l’histoire le rapporte, sont devenus, d’esclaves qu’ils étaient, nos frères et nos cohéritiers.
6. En disant donc : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle d’une nation impie, » l’Église ne, cherche pas à être séparée d’Esaü, puisque cette séparation est faite, mais des Chrétiens mauvais. Vous venez d’entendre comment lutta contre le Seigneur ce même Jacob qui figure le peuple chrétien. Il vit le Seigneur, c’est-à-dire l’ange qui représentait le Seigneur ; il lutta contre lui, voulut le saisir et le retenir. L’ange lutta de son côté ; Jacob prévalut, il saisit l’ange et ne l’échappa qu’après avoir reçu sa bénédiction. Daigne le Seigneur m’accorder de vous expliquer, mes frères, un mystère aussi profond. Jacob lutte, il prévaut et veut être béni par celui dont il est le vainqueur. Pourquoi donc lutte-t-il, contre lui et veut-il le retenir ? « Le royaume des cieux souffre violence, dit le Seigneur dans l’Évangile, par, la violence on l’enlève [1]. » N’est-ce pas ce que nous venons d’exprimer dans ces paroles : Lutte pour tenir le Christ, pour aimer ton ennemi[2] ? Car c’est tenir le Christ que d’aimer son ennemi. Et que dit le Seigneur même, ou l’ange qui le représentait, lorsque Jacob prévalait et le retenait ? Il le toucha à la cuisse, elle se dessécha et Jacob boitait. L’ange ajoute : « Laisse-moi, car voici le jour. Je ne te laisserai point, reprit Jacob, que tu ne m’aies béni. » Et il le bénit. Comment ? En changeant son nom. « Tu ne t’appelleras plus Jacob, mais Israël ; car si tu as prévalu contre Dieu, tu revaudras aussi contre les hommes [3]. » Voilà la bénédiction. Considérez celui qui la reçoit ; touché et desséché d’un côté, il est béni de l’autre ; desséché et boiteux d’une part, d’autre part il est béni et rempli de vigueur.
7. Mais que signifie : « Voici venir le jour, laisse-moi ? » Autant que Dieu nous le montre et sans condamner une interprétation meilleure, nous voyons ici le même sens que dans ces autres paroles du Seigneur. Après sa passion, il dit à cette femme qui voulait lui baiser les pieds « Ne me touche pas, car je ne suis point encore monté vers mon Père[4]. » Quel est le sens de ces paroles ? Lorsqu’on faisait ici cette lecture, j’ai expliqué comment le Seigneur pouvait dire : « Ne me touche pas ; je ne suis pas encore monté vers mon Père. » Pourquoi ? Est-ce que nul, ne l’a touché corporellement avant qu’il se soit élevé vers le Père ? Mais il était encore ici quand le disciple incrédule toucha ses cicatrices glorieuses. Comment donc refusait-il de se laisser toucher par Madeleine ? Ne parlait-il pas en figure ? Cette femme était l’Église. « Ne me touche pas » signifie : Ne me touche pas charnellement, mais tel que je suis, égal à mon Père. « Ne me touche pas, » car tu toucherais mon corps et non pas moi. Saint Paul ne dit-il pas de ses progrès dans la perfection : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi ; Les choses anciennes ont passé ; voilà que tout est devenu nouveau ; et tout vient de Dieu[5] ? À Que signifie : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi ? » Le voici : Quand nous le connaissions selon la chair, nous ne voyions en en lui qu’un homme ; mais depuis que sa grâce nous a éclairés, nous adorons dans sa personne le Verbe égal au Père. Jacob le tenait donc, et il luttait, et il voulait en quelque sorte l’embrasser selon la chair, « Laisse-moi, » disait le Seigneur, « laisse-moi ; selon la chair, car voici venir le jour » qui éclairera ton esprit. C’est-à-dire : Ne me crois ; pas un homme. « Laisse-moi, car voici le jour. » Ce jour est pour nous la lumière de la Vérité et de la Sagesse par laquelle tout a été l’ait. Tu en jouiras après la fin de cette nuit, de l’iniquité du siècle. Alors en effet apparaîtra le jour, car le

  1. Mt. 11, 12
  2. Ci-dessus, n° 3.
  3. Gen. 32, 24-28
  4. Jn. 20, 17
  5. 2 Cor, 5, 16-18