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de comprendre qu’il est ici question de toute parole ou de tout blasphème, mais d’après la pensée du Seigneur nous devons voir quelque blasphème ou quelque parole ; et s’il n’a point voulu nous la faire connaître expressément, c’est pour nous exciter à demander, à chercher, à frapper et pour nous empêcher de mépriser la vérité que Dieu nous aura fait connaître par ces moyens.
11. Afin de mieux saisir cette règle, remarquez ce que le Sauveur dit aussi des Juifs : « Si je n’étais point venu et que je ne leur eusse pas parlé ; ils n’auraient point de péché[1]. » Il ne veut pas faire entendre ici que les Juifs seraient absolument sans péché, si lui-même n’était venu et ne leur eût parlé ; tait ils étaient, à son arrivée, chargés et accablés d’iniquités. Aussi leur dit-il : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés[2]. » De quoi, sinon du fardeau de vos péchés et des violations de la loi, puisque « la loi est survenue pour faire abonder le péché[3] ? » Le Seigneur dit d’autre part : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs[4]. » Comment alors seraient-ils sans péché s’il n’était venu ? N’est-ce point parce que cette proposition n’est ni universelle ni partielle, mais indéfinie, et qu’on n’est point forcé à y voir toute espèce de péché ? Ce serait néanmoins réputer fausse cette même proposition, que Dieu nous en préserve ! Si nous n’entendions ici quelque péché particulier dont les Juifs seraient exempts sans l’avènement et les discours du Sauveur.
Jésus ne dit donc pas : Si je n’étais pas venu et que je ne leur eusse point parlé, ils seraient sans aucun péché ; ce serait faire mentir la Vérité même. Il ne dit pas non plus, dans un sens déterminé : Si je n’étais pas venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils seraient sans un certain péché ; c’eût été restreindre l’exercice et l’application de la piété ; et si, dans toute l’étendue des Écritures, ce qui est clair nourrit l’âme, les passages obscurs servent à l’exercer ; ce qui est clair apaise la faim, ce qui ne l’est pas prévient le dégoût. Jésus donc n’ayant pas dit : Ils seraient sans aucun péché, ne nous étonnons pas de rencontrer, en dehors même de l’avènement du Seigneur, des péchés dans les Juifs. Et toutefois comme il est dit : « Si je n’étais pas venu ils n’auraient point de péché », il faut bien reconnaître qu’ils se sont rendus coupables, à l’arrivée du Sauveur, non pas de toute espèce de péchés, mais d’un péché particulier dont ils étaient exempts. Ce péché, sans aucun doute, est de n’avoir pas cru en lui quand il était au milieu d’eux et qu’il les instruisait, de l’avoir même considéré comme un ennemi et de l’avoir mis à mort parce qu’il leur disait la vérité. Ce grand et horrible crime, ils ne s’en seraient pas rendus coupables si le Sauveur n’était venu et ne leur eût parlé. De même donc qu’en entendant ces mots : « Ils seraient sans péché », nous ne comprenons pas qu’ils eussent été exempts de tout péché, mais de quelque péché particulier ; ainsi en entendant lire aujourd’hui : « Le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera point pardonné ; – Quiconque dit une parole contre l’Esprit-Saint n’en recevra point la rémission », nous devons sentir qu’il est question, non pas de tout blasphème onde toute parole riais de quelque blasphème et de quelque parole en particulier.
12. Il en est de même de cette expression de notre texte : « contre l’Esprit: » car il est nécessaire de voir ton pas un blasphème contre tout esprit en général, mais un blasphème contre l’Esprit-Saint ; et si l’auteur sacré ne le disait ailleurs plus expressément, qui aurait assez peu de sens pour ne le pas comprendre ? C’est d’après la même règle qu’on explique encore : « Si l’on ne renaît de l’eau et de l’Esprit [5]. » Le texte ne porte pas : de l’Esprit-Saint ; c’est lui néanmoins que l’on entend ici, et quoiqu’il soit dit : « de l’eau et de l’Esprit », rien ne détermine à prendre le mot Esprit dans un sens universel. Ainsi donc pour ces paroles : « Le blasphème contre l’Esprit ne sera point pardonné ; » comme on ne parle pas de tout esprit, on ne parle pas non plus de tout blasphème.
13. Puisqu’il n’est pas ici question de tout blasphème, quel est, demandez-vous maintenant, le blasphème particulier qui ne sera point pardonné ? Et puisqu’il ne s’agit pas non plus de toute parole, quelle est donc la parole qui ne sera remise ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir, si elle est proférée contre l’Esprit-Saint ? Je voudrais à mon tour vous donner la réponse si ardemment désirée ; mais permettez que j’examine encore un peu de temps et avec plus de soin, jusqu’à ce que avec l’aide du Seigneur, j’aie résolu toutes les autres questions qui se présentent. Pour nous faire sentir qu’il ne s’agit pas de tout blasphème on de toute parole, mais de quelque parole, deux autres évangélistes, saint Marc et saint Luc, n’ont pas dit blasphème ni parole.

  1. Jn. 15, 22
  2. Mat. 11, 28
  3. Rom. 5, 20
  4. Mat. 9, 13
  5. Jn. 3, 5