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6. Revenons au sujet que nous traitions. Le corps est mort. Pourquoi ? C’est que l’âme ou la vie l’a quitté. Cet autre corps est vivant, mais c’est le corps d’un impie, d’un infidèle, d’un homme qui résiste à la foi et qui se montre de fer quand il s’agit de se corriger quoique ce corps soit vivant, l’âme qui le fait vivre est une âme morte. Quelle merveille que cette âme, puisque toute morte qu’elle soit, elle peut encore donner la vie au corps ! Quelle merveille, quelle excellence dans cette créature, puisqu’après sa mort elle peut animer la chair ! En effet l’âme de l’impie, l’âme de l’infidèle, l’âme du débauché et de l’insensible est une âme morte, et toutefois elle fait vivre le corps. Aussi est-elle en lui : c’est elle qui applique les mains au travail et qui met les pieds en mouvement ; elle ouvre l’œil pour voir et l’oreille pour entendre ; elle juge des saveurs, fuit la peine et cherche le plaisir. Ces actes sont des indices que le corps vit, mais il vit par la présence de l’âme. Je demande à ce corps s’il est vivant, et il me répond : Tu vois un homme marcher et travailler, tu l’entends parler ; sous tes yeux mêmes il fuit et recherche et tu ne comprends pas que son corps est vivant ? Ces actes inspirés par l’âme qui le meut intérieurement me font donc comprendre que le corps réellement vit. Je demande maintenant à l’âme elle-même si elle est vivante. Elle aussi fait des œuvres qui rendent témoignage à sa vie. Ces pieds marchent et je comprends que le corps est vivant et que l’âme est en lui. Mais l’âme elle-même est-elle vivante ? Ces pieds marchent ; je ne parle que de ce mouvement, et je veux connaître par là quelle est la vie du corps et quelle est celle de l’âme. Les pieds donc marchent, preuve que le corps est vivant. Mais où vont-ils ? À un adultère, m’est-il répondu – L’âme est donc morte. L’infaillible Écriture ne dit-elle point : « La veuve qui vit « dans les délices est morte[1] ? » Vu l’énorme différence des délices à l’adultère, comment pourrait vivre dans l’adultère l’âme qui est morte dans les délices ? Elle est morte assurément et néanmoins elle n’est pas morte uniquement dans ce cas.J'entends parler quelqu’un ; le corps est donc vivant, car la langue ne serait pas en mouvement dans la bouche, elle n’y formerait pas, en s’agitant diversement, des sons articulés, si l’âme n’était dans le corps et n’employait la langue comme le musicien emploie son instrument. – Je saisis parfaitement. Voilà comment parle, comment vit le corps. Mais je demande si l’âme aussi est vivante. – Le corps parle, preuve qu’il vit. De quoi parle-t-il ? Je disais des pieds : Ils marchent, c’est que le corps est vivant ; et j’ajoutais : Où vont-ils ? comme moyen de savoir si l’âme vivait aussi. De la même manière je juge en entendant parler que le corps est vivant, et pour savoir si l’âme : vit également je cherche de quoi parle le corps. Il profère un mensonge. S’il profère un mensonge, c’est que l’âme est morte. Comment le prouver ? Questionnons la Vérité même ; elle dit : « La bouche qui ment donne la mort à l’âme [2]. » Pourquoi cette âme est-elle morte ? Je demandais également, tout à l’heure, pourquoi le corps était mort ? et je répondais.: C’est que l’aine ou sa vie l’a quitté. Pourquoi l’âme est-elle morte ? C’est que Dieu, qui est sa vie, l’a abandonnée.
7. Après ces courtes explications, sachez et soyez sûrs que comme le corps est mort quand il est séparé de l’âme, ainsi l’âme est morte lorsqu’elle est séparée de Dieu, et tout homme éloigné de Dieu a sûrement l’âme morte. Tu pleures un mort ; pleure plutôt le pécheur, pleure l’impie, pleure l’infidèle. Il est écrit « On pleure un mort durant sept jours ; mais l’insensé et l’impie doivent être pleurés tous les jours de leur vie[3]. » N’as-tu pas les entrailles de la miséricorde chrétienne ? Comment pleures-tu le corps séparé de l’âme, sans pleurer l’âme séparée de Dieu ? Appuyé sur cette vérité, que le martyr réponde donc au tyran qui le menace : Pourquoi me contraindre à renier le Christ ? Tu veux donc que je renie la vérité ? Que feras-tu si je m’y refuse ? Tu frapperas mon corps pour en éloigner mon âme ; mais le corps est fait pour l’âme. Cette âme n’est ni imprudente ni insensée. Or en voulant frapper mon corps, prétends-tu me faire craindre tes coups et l’éloignement de mon âme, pour me déterminer à la frapper moi-même et à en éloigner mon Dieu ? Ne crains donc pas, ô martyr, l’épée de ton persécuteur ; redoute plutôt ta langue, crains de te blesser toi-même et de mettre à mort, non pas ton corps mais ton âme. Crains de faire mourir ton âme dans la géhenne du feu.
8. Aussi le Seigneur dit-il qu’ « il a le pouvoir de mettre à mort le corps et l’âme dans la géhenne du feu. » Comment ? Est-ce que l’impie jeté dans cette géhenne brûlante, son âme brûlera comme son corps ? La mort du corps est le supplice

  1. 1 Ti. 5, 6
  2. Sag. 1, 11
  3. Sir. 22, 13