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SERMON LXII. FESTINS idolâtriques[1].

ANALYSE. – Ce discours parait avoir été prêché à Carthage[2]. Saint Augustin entreprend de détourner les chrétiens de l’usage où ils étaient de prendre part aux festins célébrés par les païens en l’honneur des idoles ; et il dirige dans ce sens l’explication qu’il donne de l’Évangile du Centurion ; lu ce jour-là dans l’assemblée des fidèles. – 1° Il est certain que le bonheur du Centurion ne vient pas de la présence corporelle de Jésus-Christ, mais de l’humilité de sa foi, et l’action du Sauveur en faveur de ce soldat et de son serviteur malade, figurait déjà les Gentils préférés aux Juifs. Or dans la foule des Chrétiens il en est qui touchent le Fils de Dieu par leur foi, et il en est qui le pressent, le fatiguent. Ceux-là entre autres le fatiguent qui prennent part aux festins célébrés par les païens eu l’honneur de leurs idoles ; car ces festins sont interdits par l’Apôtre comme étant scandaleux pour les faibles et injurieux à Jésus-Christ. – 2° Pour s’autoriser ou prétexte d’abord les égards que l’on doit aux supérieurs qui se formaliseraient si l’on n’y prenait part. Mais ne faut-il pas avant tout avoir des égards pour le Seigneur Jésus lui-même, dont on va quelquefois, par suite de ces festins, jusqu’à nier la divinité ? On dit en second lieu qu’on ne se méprend pas sur la nature des idoles. Mais n’est-il pas 1 craindre qu’en voyant notre conduite les païens ne s’y méprennent, et le meilleur moyen de les convertir ne serait-il pas de les laisser isolés et heureusement confus de voir leur petit nombre ? On prétexte en troisième lieu les mauvais traitements dont menacent quelques chefs attardés de l’idolâtrie. Mais ces mauvais traitements ne feront qu’épurer la vertu ; il est contre là raison même de se préférer pas une autorité supérieure à une autorité subalterne, l’autorité de Dieu à l’autorité humaine ; nous sommes sûrs d’ailleurs que cette autorité humaine ne peut nous ôter que le superflu, ni rien faire sans la permission de la Providence qui veille sur tout. Veut-on enfin acquérir le ciel sans qu’il en coûte ? – Gardons-nous toutefois de briser les idoles quand nous n’en avons pas le pouvoir et méprisons les vaines clameurs de nos ennemis lorsqu’ils se plaignent que nous brisons celles dont nous devenons les maîtres.


1. Nous avons entendu, pendant la lecture de l’Évangile, louer notre foi lorsqu’elle est pénétrée : d’humilité. Jésus en effet promettant d’aller dans la demeure du Centurion pour y guérir son serviteur, le Centurion. Répondit : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison ; mais dites seulement une parole, et il sera guéri. » En se disant indigne, il se rendit digne de recevoir le Christ, non dans sa demeure, mais dans son cœur ; il n’eût même point parlé avec tant d’humilité et de foi, s’il n’eût porté dans son âme Celui qu’il redoutait devoir entrer dans son habitation. Son bonheur n’eût pas été grand si le Seigneur Jésus fût allé chez lui sans être dans son cœur. Ce Maître suprême, qui nous a enseigné l’humilité par sa parole et par son exemple, n’a-t-il pas mangé chez un pharisien orgueilleux, nommé Simon[3] ? Et tout assis qu’il était dans sa maison, le Fils de l’homme ne trouvait point dans son âme où reposer sa tête.
2. Pour ce motif en effet, autant du moins qu’on peut en juger par les expressions mêmes du Sauveur, il rejeta du nombre de ses disciples un autre orgueilleux qui spontanément demandait à le suivre. « Seigneur, lui avait-il dit, je vous suivrai où que vous alliez. » Et témoin de ce qui était caché dans son âme : « Les renards ; répondit le Sauveur, ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a point où reposer la tête. » En d’autres termes : Il y a en toi des ruses comme des ruses de renards, et l’orgueil t’emporte comme les oiseaux du ciel ; mais le Fils de l’homme oppose la simplicité à la ruse, l’humilité à ton orgueil et il n’a point où reposer sa tête. Ce repos de la tête que l’on prend en l’abaissant, est une leçon d’humilité. Pendant qu’il éloigne cet homme qui voudrait le suivre, il en attire un autre qui refuse. Alors en effet il dit à quelqu’un : « Suis-moi ; » et celui-ci répondit : « Je vous suivrai ; mais permettez-moi d’abord d’aller ensevelir mon père. » Cette excuse venait de la piété filiale ; aussi mérita-t-elle d’être repoussée et d’affermir la vocation divine. Le futur disciple voulait faire une bonne œuvre ; mais le Maître lui montra ce qu’il y devait préférer ; car il prétendait faire de lui un prédicateur de la parole de vie pour ressuscita les morts ; et il ne manquait pas d’hommes pour accomplir cet autre devoir. « Laisse » donc, lui dit-il, « les morts ensevelir leurs morts [4]. » Quand des infidèles ensevelissent un cadavre, ce soul des morts qui ensevelissent un mort. Ce cadavre a perdu son âme et l’âme des autres a perdu son Dieu. Or, comme l’âme est la vie du corps, Dieu est la vie de l’âme ; et comme le corps expire quand l’âme s’en va, ainsi expire l’âme lorsque Dieu la quitte. La perte de Dieu cause la mort à l’âme, de même que la perte de l’âme fait la mort du corps. Mais si la mort du corps est nécessaire, la mort de l’âme est volontaire.

  1. Mat. 8, 8-12
  2. Voyez ci-dessous, n. 10
  3. Luc. 7, 36
  4. Luc. 9, 57-60