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qu’il soit ces coupables remèdes, qu’il dise : Je mourrai plutôt que de les employer ; Dieu frappe et guérit comme il lui plaît ; qu’il me guérisse s’il le juge nécessaire ; mais s’il sait que mon devoir est de quitter cette vie, triste ou gai je suivrai la volonté du Seigneur. Eh ! de quel front para ! trais-je bientôt devant Lui ? Ces remèdes pernicieux ne me donnent point ; comme Dieu, la vie éternelle. J’achèterais, au détriment de mon âme, quelques jours de plus pour mon corps ? Tenir ce langage, ne pas rechercher, ne désirer pas ces moyens mauvais, c’est être vainqueur.
Je n’ai fait qu’une application. Mais vous savez assez combien sont nombreuses les suggestions de l’enfer. Tu vois un homme déjà languissant, il est haletant sur sa couche, il peut à peine mouvoir ses membres, remuer la langue ; dans son épuisement il triomphe du démon. Beaucoup ont été couronnés dans l’amphi théâtre en combattant contre les bêtes ; beaucoup sont couronnés dans leur lit en domptant le diable. Ils semblent incapables de tout mouvement ; et ils ont tant de courage dans le cœur, ils livrent un si rude combat ! Mais s’il y a une lutte secrète, il y a aussi une secrète victoire.
37. Pourquoi parler ainsi, mes frères ? Pour vous exciter à imiter les martyrs lorsque vous célébrez leur triomphe, et pour vous empêcher de croire que loin des persécutions qu’ils ont endurées il puisse vous être impossible de mériter la couronne. Ah ! le démon ne manque pas de nous persécuter chaque jour, soit, par ses conseils, soit par les afflictions corporelles. Sache seulement que tu es sous la conduite d’un Chef déjà parvenu au ciel ; il a tracé la route que tu dois suivre, attache-toi à lui. Quand tu es vainqueur, ne t’attribue pas orgueilleusement la victoire comme si tu avais combattu avec tes propres forces ; compte plutôt sur lui ; parce qu’il a vaincu le siècle [1], il t’a donné la force de vaincre : surmonte toutes les tentations du démon, et toujours tu seras couronné et tu sortiras d’ici avec le mérite du martyr.


SERMON V. Prononcé un peu avant la fête de Pâque. LUTTE DE JACOB CONTRE L’ANGE[2].

ANALYSE. – Saint Augustin revient souvent sur la nécessité imposée aux Chrétiens de se supporter les uns les autres. On conçoit cette insistance en face des doctrines de Donat. Aujourd’hui donc que l’on a lu dans l’assemblée des fidèles la lutte mémorable de Jacob confire un ange, le grand Évêque trouve l’occasion favorable de faire sentir a son peuple la nécessité de se supporter les uns les autres. À la fois béni et blessé par l’ange, Jacob est pour saint Augustin l’image de l’Église ; où les bons et les méchants seront, mêlés jusqu’à la fin des siècles. Mais avant d’expliquer ce double effet de la lutte du patriarche, le saint docteur établit sur deux puissants motifs l’indispensable nécessité d’exercer la charité envers les méchants ; le premier est la menace formidable de n’obtenir pas le pardon si on ne l’accorde ; le second est le touchant exemple de Jésus sur la croix. Enfin il arrive à l’explication mystique de la lutte de Jacob. Jacob est pour lui le type du peuple chrétien, comme Esaü celui de peuple juif. Or Jacob ne reçoit la bénédiction paternelle qu’en portant, pour ainsi dire, les péchés d’Esaü. Ne faut-il donc pas que le Chrétien supporte les péchés de ses frères ? Esaü, les Juifs et tous les méchants peuvent devenir bons. Pourquoi n’être pas charitable envers eux ? Dans ce combat mystérieux où. Jacob s’attache à l’ange comme l’Église à Jésus-Christ, le patriarche est et restera jusqu’à la fin de sa vie béni et blessé. Telle sera l’Église jusqu’à la fin des siècles. Pourquoi ne pas nous y résigner ?
1. Une règle de première nécessité pour le chrétien, c’est d’écouter la parole de Dieu tant qu’il est en ce monde, et d’avoir les yeux fixés sur Celui qui après être venu sauver le monde dans sa miséricorde, viendra le juger dans sa justice. Aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ s’est présenté pour être notre modèle, et parce que nous sommes chrétiens nous devons l’imiter lui-même ou imiter ceux qui l’ont imité. Il est en effet des hommes qui sans être chrétiens portent le nom de chrétien. Les uns sont comme des souillures rejetées par l’Église : tels sont tous les hérétiques et tous les schismatiques, comparés encore aux stériles sarments retranchés du cep et aux pailles emportées par le vent, avant même que

  1. Jn. 16, 33
  2. Gen. 32, 23 et suiv